Royal procès
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Louis XVI n’est pas mort. Condamné à l’exil, il est débarqué sur les rives suisses du lac Léman avec interdiction de quitter le village de Saint-Saphorien. Ainsi commence Louis Capet, suite et fin, roman uchronique de Jean-Luc Benoziglio.
L’imagination du romancier plongeait ses racines dans une étude approfondie du contexte dans lequel Louis Capet a perdu sa tête, au matin du 23 janvier 1793.
La condamnation du roi avait été prononcée définitivement cinq jours plus tôt, le 18 janvier : sur 721 voix exprimées à l’Assemblée, 361 penchent pour la mort sans condition, 26 pour la mort sans condition, mais avec sursis éventuel, et 360 pour l’emprisonnement ou le bannissement. Cette petite majorité montre à quel point l’exécution du roi n’a rien eu de simple ni d’inéluctable : la mort a été prononcée au terme d’une procédure créée pas à pas, au fil d’intenses discussions et de conflits dont les enjeux ne touchaient pas seulement au sort de l’ancien souverain, mais au futur de ce qui n’était déjà plus seulement la Révolution, et pas encore la République.
Pourquoi, d’ailleurs, un procès ? Pourquoi ne pas simplement éliminer le roi ? Et s’il fallait un procès, quelles en seraient les règles ? Quels en seraient finalement les juges, et que ferait-on de l’opinion populaire ? Quelle place donner à l’État de droit et à chacune des nouvelles institutions qui se dessinaient depuis 1789 ? Les questions qui fusaient dépassaient largement le sort du seul Louis Capet et si la guillotine est une image impressionnante, ce sont les réflexions qui ont précédé la sentence qui sont fascinantes.
Jean-Clément Martin, professeur émérite de l’université de Paris-I-Panthéon Sorbonne et ancien directeur de l’Institut d’histoire de la Révolution française, s’est penché sur ces journées où les tâtonnements succédaient aux rebondissements, où les volte-face étaient courantes et la corruption aussi fréquente que les menaces :
« Leurs sorts à tous [le roi et, plus généralement, les Bourbons] ont étroitement dépendu des aléas de la période révolutionnaire, provoqués par les rivalités qui ont déchiré le pays, aggravés par les guerres extérieures, intestines et coloniales. L’urgence continuelle qui requérait des mesures exceptionnelles a facilité l’ascension vers le pouvoir d’hommes ambitieux et déterminés, qui ont su, avec plus ou moins de chance, utiliser les surenchères violentes en les utilisant contre les opposants politiques ou contre les ennemis étrangers. Bonaparte est le seul à avoir dompté et tourné à son profit cette force prodigieuse.
Les responsabilités ne sont pas à chercher d’un seul côté. Parallèlement, les rivalités jouent un rôle considérable dans le champ de la contre-révolution, en l’affaiblissant constamment. Ses divisions et son incapacité à trouver un chef et à fixer une politique expliquent les échecs successifs de 1792 à 1801, alors que, globalement, l’opinion n’a pas basculé massivement dans la Révolution, ce qu’attestent les soulèvements contre-révolutionnaires de 1792-1793, puis de 1799 notamment, ainsi que les élections de 1795 et 1797, gagnées par les royalistes modérés. La conscience d’être en minorité n’a pas cessé de hanter les révolutionnaires.
Louis XVI n’échoue pas seulement parce qu’il est faible et indécis, mais parce qu’il est laissé seul face au volcan révolutionnaire. Ses maladresses indéniables et sa médiocre compréhension des mutations politiques n’expliquent pas tout ; l’hostilité à son égard des contre-révolutionnaires militants, des émigrés et même de ses frères, les calculs personnels des souverains étrangers tiennent des places essentielles dans la faillite de sa politique. Une partie de l’historiographie ajouterait qu’il a été desservi par l’activité et la personnalité de la reine elle-même.
(…) Il convient enfin d’insister sur le flou des notions qui a laissé aux acteurs le jeu indispensable pour les appliquer en fonction du contexte et des urgences. La signification du 21 janvier ne peut pas se réduire à une mutation de la sacralité. Il est plus raisonnable, et plus près des débats, de voir que l’exécution du roi n’a ni aboli la distance du pouvoir au roi, ni sacralisé le pouvoir du “peuple”. La quasi-totalité des députés s’est engagée dans le procès du roi pour empêcher que les formations “populaires” puissent accéder à la direction du pays.
Le 24 janvier, quand les députés s’unissent autour de la dépouille de Le Peletier, alors qu’ils étaient absents place de la Révolution trois jours plus tôt, ils affirment la prééminence de l’Assemblée, incarnation et représentation du “peuple”. Cette journée marque leur victoire, même s’il leur faudra attendre un an, en mars 1794, pour éliminer les sans-culottes de la compétition, et deux ans, au printemps 1795, pour les écarter totalement de la vie politique légale. Mais dès janvier 1793, la République s’affirme contre la Révolution tout en s’en réclamant. » (Jean-Clément Martin, L’exécution du roi, Paris, Éditions Perrin, collection « Tempus », 2021, p. 345 ss. Extrait reproduit avec l’aimable autorisation des éditions Perrin; © Perrin, un département de Place de Éditeurs, 2021 et 2025)
Louis Capet, suite et fin et L’exécution du roi : un roman et un essai pour aller au-delà de cette image trop simpliste d’un roi guillotiné par le transport de tout un peuple vers la liberté.