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L'homme anguille et autres chroniques

John Petit-Senn

Préface : Maggetti Daniel

Cinquante chroniques sarcastiques, fines et perspicaces par l’un des auteurs les plus populaires de son époque.

« De l’incognito du génie » à « L’homme anguille », John Petit-Senn égratigne avec bonheur les prétentions de ses contemporains, avec un humour qui le rapproche de Rodolphe Töpffer et reste étonnamment actuel.

Les chroniques présentées ici sont issues du Fantasque, journal créé par John Petit-Senn en 1832 et qui appartient à la tradition satirique si populaire au XIXe siècle. Ironiques, fines et comiques, désabusées parfois, les chroniques du Fantasque reflètent les mœurs d’une époque dont les travers ressemblent beaucoup aux nôtres.

 

L’humour de John Petit-Senn, tout comme celui de son contemporain Rodolphe Töpffer, est un concentré d’esprit, servi par une perspicacité et une originalité qui révèlent une vraie profondeur.

 

Les textes réunis ici sont tirés de l’édition intégrale des chroniques de John Petit-Senn, parue en 2008 aux Éditions L’Âge d’Homme sous le titre Chroniques du Fantasque et autres textes. La présente édition est préfacée par Daniel Maggetti, professeur à l’université de Lausanne et directeur du Centre des littératures en Suisse romande.

Auteur : John Petit-Senn
Catégorie : littérature romande
Date de publication : 18 octobre 2024
Longueur : 204 pages
ISBN 9782940775132
Également en format numérique

PDF : ISBN 9782940775149

Epub : ISBN 9782940775156

La Liberté – Tamara Bongard, 11 janvier 2025

Chroniques tranchantes

Pourquoi diable John Petit-Senn n’est-il pas l’auteur genevois le plus connu du monde? En lisant L’homme anguille et autres chroniques, on se dit que c’est pure injustice tant sa plume effilée découpe nos travers comme un scalpel.

C’est vraiment une belle parure que ces boucles ondoyantes dont la nature couvrit le front de l’homme ; il y a sans doute un vif plaisir d’amour-propre et de vanité à passer une main blanche et potelée dans les touffes capillaires qui ombragent la tête de la jeunesse ; mais quel est l’agrément physique que le temps puisse respecter ? Tout se fane, disparaît et tombe devant ses coups ; le crâne le mieux garni laisse bientôt aux poils de la brosse ou aux dents du peigne de désolantes dépouilles ; l’automne de la chevelure arrive toujours trop tôt ; c’est l’arbre se séparant des feuilles nées au printemps : la tête offre alors des places blanches qui serpentent et laissent la peau à découvert ; bientôt le ravage se fait sentir au-dessus des tempes, tantôt sur le point culminant de notre chef, tantôt sur la partie qui domine le front, tantôt enfin tous ces divers emplacements sont attaqués à la fois, et livrent à l’haleine du zéphyr, à la coiffe du chapeau, au bonnet de nuit, aux doigts qui les touchent, les cheveux qui les couvraient. Partout nous retrouvons, le cœur gonflé de regrets, les débris d’une parure naturelle dont nous eûmes moins de temps à nous enorgueillir que nous n’en aurons à la regretter. Que sont alors devenus ces heureux moments où rien n’aurait pu compromettre une chevelure drue et touffue ; où on la prenait à pleines mains, où on la rejetait avec assurance en arrière, où chaque ondulation imprimée à ses mèches abondantes avait du charme, où la négligence était pour elles un agrément de plus ? Hélas ! Maintenant la tête a besoin de plus d’un artifice pour paraître encore posséder l’ombrage qui la couvrait jadis ; les cheveux de l’occiput sont ramenés sur les déserts arides du sinciput, afin de les voiler : on travaille devant son miroir à ces innocentes ruses qui pallient les outrages du temps ; on ne confie qu’en tremblant ce galant et fragile édifice au souffle du vent, au chapeau qui peut en détruire l’effet et les savantes combinaisons ; la main de l’ami qui vient caresser notre chef nous inspire de l’effroi ; ce n’est même qu’en tremblant que nous y portons la nôtre, lorsque, près d’entrer dans un salon, nous hasardons de ramener nos derniers fidèles cheveux sur les endroits faibles que nous ne connaissons que trop ; et si, passant devant une psyché, nous voyons que notre main malheureuse a été au-devant du contretemps que nous voulions éviter, nous sommes étouffés de honte et de malaise.

Cet état pénible ne saurait durer ; on marche droit chez le coiffeur ; on l’initie, non sans rougir, dans le secret de la déconfiture capillaire ; lui, en examinant le triste état des choses, vous parle perruque, faux toupet ; l’idée de ces fourberies de l’art effraie d’abord votre candeur native ; vous regimbez contre le désir d’y avoir recours ; puis, en voyant dans un miroir votre tête que l’exploration manuelle du coiffeur vient de jeter dans un affreux désordre, en contemplant ces mèches qui couvraient les nudités de votre avant-crâne, et qui les ont laissées à découvert en rebroussant chemin vers le sommet, vous vous décidez à céder aux insinuations intéressées de l’artiste, et quinze jours après vous avez arboré un faux toupet de sa façon.

Proportionné aux misères naissantes de votre chef, il n’en recouvre d’abord qu’une faible partie, mais bientôt les crochets ou la colle, nécessaires pour l’assujettir, arrachent, étouffent, rongent les parties où ils sont adhérents ; en sorte que, sans cesse agrandi, il marche à l’envahissement de la surface totale de votre tête ; il la pousse vers la perruque, qui s’ouvre devant elle, et où s’engloutit bientôt, comme dans son dernier refuge, ce quartier général de vos cinq sens, ce siège de vos pensées.

 

In «De la chevelure des hommes»

Auteur.e

Auteur de chansons de circonstances, chroniqueur et satiriste, John Petit-Senn (1792-1890) a notamment participé à la création du Journal de Genève.

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