
Louis Capet, suite et fin
Préface : Bottarelli Alice
Louis XVI n’est pas mort. Échappant de peu à la guillotine, il est envoyé sur les rives suisses du lac Léman. L’exil est tout sauf doré et la cohabitation avec les villageois… difficile.
C’est drôle et cruel pour les Suisses comme pour le roi, dans le style inimitable de Jean-Luc Benoziglio.
Exilé sur les rives suisses du lac Léman, Louis XVI, devenu le simple citoyen Louis Capet, coule des jours… ennuyés à Saint-Saphorien (sic), village de vignerons et de pêcheurs à l’esprit souvent épais, amateurs de vin blanc et de kirsch.
La cohabitation est difficile et le fragile équilibre menace de se rompre lorsque l’aile de Bonaparte survole la région.
Jean-Luc Benoziglio se fait au passage le plaisir d’opposer le français de la cour au parler suisse, dans des pages infiniment habiles n’excluant pas les jeux de mots ni les plaisanteries moins… élégantes.
Publié en 2005 aux Éditions du Seuil, nourri de faits réels, ce roman à la syntaxe vertigineuse revisite avec humour et dérision l’histoire de France, et au-delà du destin royal, se penche sur la figure universelle de l’exilé.
Louis Capet, suite et fin a reçu le Prix Michel Dentan et le Prix des auditeurs de la RTS. Il est accompagné dans cette présente édition d’une préface inédite d’Alice Bottarelli, auteure, éditrice et chercheuse en littérature.
Auteur: Jean-Luc Benoziglio
Genre: littérature romande
Date de publication : 12 juin 2025
Longueur : 176 pages
ISBN: 9782940775439
À quoi que se fût sur le port attendue l’assistance, ce qui arriva alors dut sans doute dépasser tout ce qu’elle avait imaginé. Voiles latines « en oreilles » amenées, bateau à peine amarré, la porte de la cabine sur la dunette s’ouvrit et, l’un derrière l’autre, on vit trois hommes en sortir et descendre la passerelle.
Le premier et le troisième, cravate haute, épée au côté, portaient un bicorne orné de plumes tricolores, une veste bleue à broderies et boutons de cuivre, une large ceinture également tricolore et des bottes à revers.
En comparaison d’un si rutilant équipage, dessiné par Louis David en personne, von Pfyffer jugea un peu terne son propre costume de cérémonie, dans le lourd, le rêche et le gris verdâtre confectionné, aurait-on pu croire, par quelque adepte de l’art brut.
Au milieu des deux officiers, attirant immédiatement tous les regards, l’homme, faisant de l’avis général beaucoup plus que son âge (quarante et un ans, si l’on compte bien), d’une bonne tête au moins plus grand que les autres, assez corpulent, était entièrement revêtu d’une sorte de large manteau de taffetas ciré qui, s’évasant vers le bas, donnait à sa silhouette quelque chose de pyramidal. Mais surtout, en guise de pyramidion, pour filer la métaphore, il portait, qu’effarée l’assistance contempla bouche bée, il portait, enfoncée un peu de guingois et bientôt détrempée, il portait cette perruque dont on devait plus tard apprendre que, comme d’autres d’un banal suroît, d’une vulgaire capuche, il avait l’habitude de s’en coiffer sous la pluie, ajoutant qu’il tenait cette relique de son arrière-arrière-arrière-grand-père, Quatorzième du nom.
Le plus extraordinaire, me rapporte-t-on, était que ce couvre-chef, loin de le rendre ridicule et de provoquer ricanements et quolibets, lui conférait au contraire on ne sait quelle sorte de dignité grave, qu’accentuait encore le regard comme effaré, myope, qu’il promenait en permanence sur les hommes et les choses.
Côte à côte maintenant, l’homme à la perruque toujours au milieu des deux autres (inexistantes pourtant, on devinait presque entre eux et lui d’invisibles chaînes ou menottes), les trois personnages s’étaient immobilisés au pied de la passerelle.
Von Pfyffer s’approcha de leur groupe. Sortant un texte de sa poche et, à l’intention de celui qu’il avait, comme Jeanne d’Arc à Chinon, du premier coup reconnu, il commença un discours rocailleux que les Français écoutèrent sourcils un peu froncés, ne haussant ceux-ci qu’à chaque fois que le Bernois disait : « Zire » ou : « Fotre Majestät ».
Pour la forme, ce fut ensuite au tour de Chavannes de prononcer quelques lentes, chantantes et épaisses paroles au nom de la municipalité. Toujours même jeu des officiers lorsqu’à plusieurs reprises le syndic nomma son interlocuteur : « M’sieur Louis Papet ».
— C’est incroyable, murmura l’un des envoyés parisiens à son collègue, qui en pouffa, ils parlent censément tous deux le français, mais chacun d’une manière telle que c’est tout juste si l’on parvient à percevoir ce qu’ils veulent dire…
Devant cet aparté, ce fut au tour de von Pfyffer de froncer le sourcil.
On frôlait l’incident diplomatique.
— Avant de vous remettre le citoyen Capet, reprit alors le représentant français, avec cet accent pointu et précieux qui fit sourire dans le public, je me dois de vous rappeler qu’il est chez vous jusqu’à nouvel ordre assigné à résidence et qu’en aucune circonstance il ne devra quitter Saint Saphorien ou ses environs immédiats sans l’expresse autorisation de mon gouv…
— Je sais tout cela, monsieur : mon gouvernement m’en a fait part déjà et tous les ordres nécessaires ici ont été donnés pour que soit à la lettre respectée cette consigne.
— Dans ce cas, il ne nous reste plus qu’à prendre congé.
Tout avait été dit, assez froidement, et ce fut de même que l’on se quitta.