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Promotion Staline

Gaston Cherpillod

Préface : Meizoz Jérôme

« Pour applaudir ou défiler derrière l’oriflamme, il suffisait de la moëlle épinière. »

 

Un pamphlet contre le militantisme figé, les esprits bornés et les idéologies déshumanisées.

 

Voix singulière, puissante et dérangeante de la littérature romande, caustique et provocateur, Gaston Cherpillod mêlait autobiographie, engagement politique et poésie sociale dans sa vie et ses écrits.

 

Promotion Staline ne fait pas exception. L’auteur – très tôt inscrit au Parti populaire ouvrier (POP) – y revient sur les raisons qui l’ont poussé à s’affranchir d’un militantisme figé pour continuer ses combats au plus près de ses convictions. C’est un pamphlet, mais c’est aussi une œuvre littéraire, passant du français précieux à l’argot, de l’érudition à la verve populaire.

 

Publié en 1970 aux Éditions L’Âge d’Homme, Promotion Staline devient l’un des textes phares de la collection « La Suisse en question », dirigée par Claude Frochaux, aux côtés d’écrits marquants de Peter Bichsel, Michel Bakounine et Max Frisch.

 

La présente édition, annotée, est accompagnée d’une préface de Jérôme Meizoz, professeur à l’université de Lausanne, écrivain et critique littéraire.

Auteur: Gaston Cherpillod
Genre: Littérature romande
Date de publication : 6 novembre 2025
Longueur : 144 pages
ISBN: 9782940775552
Également en format numérique:

PDF: 9782940775569

EPub: 9782940775576

Cherp votait donc communiste. Moitié conviction, moitié désir d’ennuyer les bourgeois. Ses compatriotes le navraient. L’automne mille neuf cent cinquante-deux, un soir, il revenait d’un village rhodanien où il avait contribué à la vendange ; il avait bu pas mal de vin. Le foie gonflé, il avait aussi, le malheureux, le cœur gros. Son existence lui pesait. Quand il ne chômait pas, il s’échinait au service de la Culture.
Il latinassait.
— Ablatif pluriel de filia. Puer : donnez-moi les deux sens de ce vocable.
Il apprenait l’allemand aux débutants.
— Cent mille hommes (Hunderttausend Männer).
— Pierre-Louis ! La date d’entrée des Rhodes Extérieurs dans la Confédération ?
Il sentait qu’il perdait la boule. Moins opprimé, mais aliéné autant qu’un travailleur à l’usine, au magasin, aux champs. Comme puer, le mot aliénation avait deux sens. On glissait vite de celui d’Hegel ou de Marx à celui des psychiatres ; l’apprenti linguiste n’effectuait pas cette découverte dans la joie.

 

De la gare, Cherpillod monte à Saint-François. Il regarde les Lausannois qui en descendent ; ils n’ont pas biberonné, eux ; ils reviennent de leur travail.
L’activité ne leur a pas convenu davantage qu’à lui la rigolade : leur tristesse achève de l’accabler. Les contemplant, il s’écrie à mi-voix :
— C’est mon peuple. Mon Dieu, c’est mon peuple.
Tout son pinard lui sort par les yeux. Gaston pleure sur ses frères.
Plutôt chrétien, ça, non, Messieurs de la tartuferie ? Sans qu’il s’y attendît, la rue du Petit-Chêne s’était transformée en chemin de Damas : Jésus pointait dans les fabriques suisses.

 

 

Un hasard précipita la politisation du personnage. Un mois plus tard, se tenait en Autriche qu’occupaient encore les quatre puissances le Congrès des Peuples pour la paix. Avec le statut d’invité, le chômeur s’y rendit. (…)
Comme un potache, au congrès il prenait sagement des notes. Il écoutait les voix de la conscience universelle. Sartre, qui avait interdit qu’on jouât Les Mains sales, durant que siégeait le Congrès ; Ehrenbourg ; l’ex-président Giuseppe Nitti. Mme Fucik évoquait les « crimes » de Slanski, bureaucrate tchèque récemment exécuté pour titisme. La Thaïlandaise dénonçait la saloperie monde-libriste au Siam : le trafic de devises, et la prostitution – les petites mains du pays soulageaient les permissionnaires GI. Sans pathos, les Cubains informaient les congressistes qu’au retour on les emprisonnerait : Fidel n’avait pas encore assailli Batista, liquidé Nestlé. Les Chinois remirent à chaque délégué un document relatant des exploits américains : les impérialistes avaient, paraît-il, lâché sur leur sol des bombes bactériologiques. Invention ou forfait avéré ? Je m’interroge. Qui répondra ?

Auteur.e

Gaston Cherpillod (1925-2012), poète et romancier, écrivain engagé, est une voix singulière de la littérature romande.

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