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Sang lié

David Bosc

Préface : Rueff Martin

Récit initiatique, Sang lié décrit la découverte du monde et de soi-même après l’adolescence, les obstacles auxquels on se heurte et ceux qu’on se crée, la révolte, la solitude et la rencontre de l’amour.

On voit le jour, on traverse le jardin de l’enfance, puis le moment vient de naître au monde et à soi-même. Une voie parfois étroite, brutale, où la solitude choisie devient ennemie, où les mots fouettent ou étouffent. Pour le narrateur, trois d’entre eux suffiront pourtant à tout libérer : « Je te connais ».

 

Sang lié n’est pas un roman. Ce n’est pas une histoire. C’est l’expérience de la mue, si intime et si universelle. C’est la conquête de la liberté sans solitude, dans une langue poétiquement, intensément vivante.

 

Premier roman de David Bosc, Sang lié a été publié en 2005 aux Éditions Allia. Il est accompagné dans cette nouvelle édition d’une préface de Martin Rueff, poète, traducteur et professeur à l’université de Genève.

Auteur: David Bosc
Genre: littérature romande
Date de publication : 11 septembre 2025
Longueur : 128 pages
ISBN 9782940775453

Également en format numérique:

PDF: ISBN 9782940775460

EPub: ISBN 9782940775477

Ce que ce fut chaud, au commencement, d’avoir une table ! Et au fond de la poche, la clé d’une simple pièce, où elle se tenait, cette table, tout contre un lit, dans un entassement de caisses, de cageots, de sacs. Des choses laissées par d’autres, des choses ramassées. Une nuit, prenant un air lugubre devant ma glace, il m’est venu de dire : Il est une distance enviable ; ma chambre, hélas, est aussi mon bureau. Mais non. Je le savais bien. C’était chaud. Quatre murs où que ce fût, percés ou non d’une fenêtre, peu importe comment, au fond d’une cour humide et qui sentait le chou, au sommet exténué d’un escalier branlant ; quatre murs, j’en ai connu. Voilà tout ce qui était nécessaire, je pensais, voilà tout ce qui m’avait manqué pour que la vie commence, pour que le temps, plutôt ça, amorce un sillon dans ma vie, avec ma vie.

 

La peau de lézard, sur les murs, d’un papier gaufré, des tuyauteries pleurantes, une porte de bois peinte et repeinte, le fer des serrures, je retrouvais les choses, leur dureté, mon amour pour elles.

Des heures industrieuses, sans rime ni raison, entre ces quatre murs, me regardant faire. Des heures à coller des bandes de papier, à détourer des ombres, à suturer le disparate, à colliger les mots exsangues des longs hommes noirs, à trouver à chaque chose son inutilité, et à l’ensemble des choses un ordre maquillé, des correspondances sentimentales, faciles, une fois écartées les plus évidentes.

Limer, racler, polir, percer, avec déjà la nostalgie de mes propres mains. Choses que je touchais amoureusement, de bois, de pierre et de rouille, choses que je frappais avec démence, plein d’une haine sourde, au-delà d’elles, contre leur forme, contre leurs assemblages parjures à la matière, bois, pierre, rouille du fer. Je me souviens d’une dame-jeanne, laissée contre une benne, avec ses longues taches mauves de lie de vin en continents étranges. Pour la laver, j’y jetai du gravier qu’à grands gestes je fis tourner avec de l’eau, – jusqu’au bris, jusqu’à la ruine violente du globe entre mes mains. À peine quelques coupures et une déception d’enfant.

J’ai tant caressé de murs, oh, pas du bout des doigts, des deux mains tout ouvertes, et j’ai flatté le bitume, la marche de pierre jaune, le granit scintillant du caniveau.

 

Des heures à me regarder vivre. Méfie-toi, je me disais, méfie-toi du narcissisme, et méfie-toi, tant que tu peux, de son épouvantail qu’on a fiché en toi pour te défendre un chemin. Car c’était ainsi, narcissisme, qu’ils désignaient aussi l’introspection, l’expérience intérieure, tandis que ce qu’ils encourageaient, sous d’autres noms, avec des piques et des drapeaux, j’y avais reconnu le narcissisme vrai : la passion réchauffée pour une image de soi – la contemplation aux infinis miroirs d’une apparence étrangère, coûteuse, compromise ; je connaissais ça bien. Et la façon même dont il était indiqué de regarder les autres, de s’intéresser à eux, tenait encore de ça. Comparaison toujours, vers le mimétisme ou vers le mépris. Quant à ce qui se donnait communément pour intérieur, l’intime, c’était foutaise. Un petit meuble à secret, frétillant d’être ouvert, paré au déballage, aux aveux – de choses amassées là pour ça, de choses attrapées dans le train des choses, dégluties par la bouche du premier venu, prises dans des mains de passage, – mais jamais nées de soi. La peau fardée d’une effeuilleuse qui n’aurait eu qu’un vêtement, un rideau mécanique – clac ! habillée, clac ! à poil. Et circulez, vous n’avez rien connu.

Quand ils disaient de quelqu’un qu’il avait été livré à lui-même, c’était dire sous quelle mauvaise garde. Vous livrer à vous-mêmes, vous plaisantez ? Pour Narcisse, le personnage en tunique, je m’étais fait une idée, comme ça : un suicidaire que l’étonnement de son reflet retint pour un instant, dizaine d’heures ou dizaine d’années, de se foutre à l’eau.

Auteur.e

David Bosc, né en 1973, est écrivain et poète, lauréat du Prix suisse de littérature et du Prix Michel-Dentan.

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