
Le chercheur d'ondes
Préface : Porret Michel
Un appareil à capter les ondes de l’esprit humain, un écrivain célèbre (et malheureux en amour), un ingénieur cupide…
Noëlle Roger publie en 1931 un roman anticipatoire explorant les dangers de la science lorsqu’elle touche à l’âme humaine.
Une réflexion très actuelle!
Un critique littéraire parisien est assassiné sans raison par un marchand de vin. L’unique lien entre eux : Jean Lanouze, romancier, qui vient d’être accusé de plagiat par le critique et qui connaît également le marchand, qui a combattu avec lui durant la Première Guerre mondiale.
Lanouze n’a jamais pourtant évoqué le critique devant lui ; comment expliquer alors ce crime qui semble servir son désir de vengeance ? La question le hante jusqu’à l’arrivée inattendue de Zambru, ami d’enfance et inventeur d’un appareil à capter les ondes humaines. Les expériences se multiplient et Lanouze plonge peu à peu dans un monde où son propre « moi » menace de disparaître : la « pensée sans fil », comme Zambru a baptisé son appareil, viole la conscience humaine.
Publié en 1931 aux Éditions Calmann Lévy, Le chercheur d’ondes est très médiatisé en France et en Suisse, et son adaptation radiophonique confirme l’engouement des lecteurs pour un roman qui les fascine et les alarme.
La présente édition est accompagnée d’une préface inédite de Michel Porret, historien moderniste, professeur honoraire de l’université de Genève et président des Rencontres internationales de Genève.
Auteure : Noëlle Roger
Catégorie : littérature romande
Date de publication : 15 mai 2025
Longueur : 176 pages
ISBN 9782940775385
Également en format numérique
PDF : ISBN 9782940775392
Epub : ISBN 9782940775408
— Le témoin suivant, dit le président du tribunal.
Il y eut dans la salle bondée un frémissement de curiosité tandis que s’avançait une haute silhouette élégante ; les femmes se penchèrent comme attirées par cette tête brune, auréolée de gloire, et déjà se disputaient le profil net, un instant aperçu.
— Jean Lanouze, le romancier !
— Comme il est jeune !
— J’adore son dernier livre !
— Oui… mais vous savez bien ce que l’on raconte…
— Quoi donc ?
Le silence se rétablit et l’on écouta Jean Lanouze, immobile à la barre et qui prêtait serment de dire toute la vérité.
Son âge ? Vraiment il n’avait que trente-quatre ans ! Il avait couru le monde, écrit des romans sensationnels, fait la guerre ; ce jour-là, il portait ses rubans. Comment était-il mêlé à cette ténébreuse affaire qui passionnait tout Paris : l’assassinat d’un journaliste par un misérable placier en vin ?
— Quelles étaient vos relations avec l’accusé ? demanda le président.
La voix bien timbrée de Jean Lanouze répondit avec une fausse désinvolture :
— Il venait une fois ou deux par an prendre une commande.
— Depuis combien de temps le connaissiez-vous ?
— Depuis la guerre. Il servait dans la même compagnie que moi, en 15.
Lanouze n’ajouta pas qu’il avait guéri Bourlat un jour de cafard et qu’il s’était attaché à lui comme on s’attache à ceux qu’on a sauvés.
— Vous l’avez vu le jour du crime, spécifia le président ; vous rappelez-vous à quelle heure ?
— L’après-midi, vers deux heures…
— Avez-vous remarqué en lui quelque chose d’insolite ?
— Pas le moins du monde.
— Pouvez-vous raconter votre conversation ?
— Il semblait abattu, ses affaires allaient mal. Il m’a dit avoir copié des adresses dans l’annuaire des gens de lettres, ouvert sur ma table, pendant qu’on m’appelait au téléphone. Je l’ai autorisé à se servir de ma recommandation : c’est tout.
— Avez-vous prononcé des noms ?
— Aucun.
— Vous a-t-il dit qu’il allait chez la victime en sortant de chez vous ?
— Non.
— Vous en êtes absolument sûr ?
Jean Lanouze, redressé, sembla grandir encore ; dans le silence haletant de l’auditoire, il déclara :
— Absolument. J’ignorais même qu’il eût pris l’adresse de Maurice Pacard.
— Je désire poser une question au témoin, intervint l’avocat de l’accusé. M. Jean Lanouze était-il en relation avec la victime ?
Lanouze se tourna vers lui et répondit :
— Lointaines.
— À l’heure où M. Jean Lanouze reçut la visite de mon client, il savait, sans doute, que Maurice Pacard l’avait accusé de plagiat ? Trois jours avant le crime, le Mercure publiait un long article prouvant que le dernier roman de M. Lanouze est le démarquage d’un roman tchécoslovaque inconnu. Peut-être M. Lanouze
s’apprêtait-il à envoyer ses témoins à Maurice Pacard ?
— Cette question n’a rien à voir ici, répliqua le romancier avec hauteur.
L’avocat, soulevé sur son banc, poursuivait :
— M. Lanouze, dans sa préoccupation, a-t-il pu laisser échapper des paroles qu’il a oubliées ou même dont il n’aurait pas eu conscience ?
Quelques secondes… Le témoin, immobile et la tête penchée, semblait s’interroger soi-même. Il articula :
— Non, aucune parole, j’en ai la certitude.
— Je demande que mon client soit entendu, dit brusquement le défenseur.
Le public murmurait. Une telle insistance paraissait odieuse. D’ailleurs l’accusé n’avait jamais varié dans ses réponses.
Une fois de plus, il répéta qu’il ne savait rien.
Il ignorait tout de l’affaire Pacard-Lanouze. Il ne savait pas pourquoi il était allé chez Maurice Pacard. Il avait marché dans la rue, il se souvint d’une adresse notée, monta trois étages.
Il n’avait jamais vu M. Pacard et n’avait contre lui aucun grief : il ne savait pas pourquoi il avait déchargé son arme. C’était comme si quelqu’un d’autre agissait à sa place, et il demeura stupéfait en face du cadavre… Il ne pouvait rien expliquer…
Une figure de malchanceux que la prison préventive avait déjà blêmie, une voix neutre, une expression d’absence, l’aspect d’un honnête homme trahi par la vie. Personne ne pouvait comprendre les raisons du meurtre ; ni le tribunal, ni les avocats, ni le jury, et lui, pas davantage. Maurice Pacard avait-il rudoyé le quémandeur ? Mais le placier n’avait même pas formulé d’offres. L’enquête établissait que le coup de feu fut tiré à l’instant même où Bourlat venait d’être introduit dans le bureau. La servante à peine refermait-elle la porte…