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Nouvelles

C.F. Ramuz

Neuf nouvelles qui concentrent l’essentiel de l’œuvre de C. F. Ramuz, illustrant à la fois les thèmes qui lui étaient chers et le style si particulier qui a fait de lui un auteur marquant de la scène littéraire francophone du XXe siècle.

En 1944, trois ans avant le décès de Ramuz, paraît le recueil sobrement intitulé Nouvelles. Si le genre du récit bref avait servi à l’auteur de terrain d’expérimentation stylistique ou thématique, il devient ici le moyen d’exprimer l’essence de son œuvre. De sa plume âprement poétique, Ramuz concentre dans ces textes sa capacité à explorer les points de friction entre les hommes – et entre les hommes et la nature –, dans un mouvement qui transforme le circonstanciel en intemporel.

 

« Un vieux de campagne », « Le retour du mort », « Accident », « Le lac aux demoiselles », « Le père Antille », « Sécheresse », « La foire », « Conversation », « Pastorale » : les neuf nouvelles de la présente édition sont accompagnées d’une préface inédite d’Océane Guillemin, chargée de recherche au Centre des littératures en Suisse romande de l’université de Lausanne.

Auteur : C.F. Ramuz
Catégorie : Littérature romande
Date de publication : 31 mai 2024
Longueur : 252 pages

ISBN 9782940749812

Également en format numérique

PDF : ISBN 9782940749829

Epub: ISBN 9782940749836

Le Temps – Julien Burri, 1er juin 2024

Ramuz, la profondeur de l’instant. Les nouvelles écrites par le Lausannois au soir de sa vie saisissent par leur beauté et leur vigueur. 

Ramuz, à la fin de sa vie, est au somment de son art. En témoigne ces neuf nouvelles publiées en 1944 chez Mermod, à Lausanne, puis en 1947 chez Grasset, année de la mort de l’écrivain qui déclarait ces textes de peu de valeur. Plus perspicace, son éditeur reconnaissait qu’ils comptaient, au contraire, parmi ses plus belles pages, « les plus parfaites ».

Ils sont installés tout au bas de la grande pente abrupte que le versant nord de la chaîne délègue à la rencontre du fond plat de la vallée.

 

Ils sont tout au bas de cette côte nord, c’est-à-dire tournée au midi et toute la journée exposée au soleil qui l’attaque de face de son lever a son coucher, sans autre trêve que quand quelques nuées paresseuses viennent se hasarder et traîner entre l’astre et le point qu’il vise, mais c’est rare.

 

De sorte que, de bonne heure dans l’année, tout est brulé sur cette côte ou la terre n’a pas d’épaisseur, ne recouvrant que mal et a demi la roche qui fait son ossature et qui partout perce la peau trop mince qui est dessus.

 

De grands rochers pointus, qui ont la forme et la couleur des tentes que les nomades dressent dans le désert, et des cordes tendues en marquent les arêtes, en occupent le sommet un peu au-dessus des pâturages. Il n’y a que peu de forêts, peu de gorges ou l’ombre du moins trouverait refuge ; tout est largement exposé à l’ardeur des rayons venus par l’ouverture que découpe sur le ciel l’écartement des crêtes.

 

C’est ce grand versant nord de la grande vallée qui est dirigé de l’ouest à l’est ; c’est à peine si au printemps il prend à certaines places une coloration d’un vert tendre, qui déjà s’affaiblit, s’atténue, tourne au gris et au roux. À mesure qu’on s’avance dans la saison, tout se hâle, tandis que là-dedans, certains pans de rocher brillent comme du verre.

 

On voit ces régions dans leur verticalité être calcinées ; on en détourne les yeux tant elles sont insupportables a regarder.

 

Parfois une espèce de légère brume flotte sur elles, mais elle n’est constituée que par le poudroiement des fines poussières qui s’en dégagent, trompant l’œil.

 

C’est pourtant, dans le bas de cette côte que les hommes sont venus s’installer une fois, imprudemment, y ayant bâti un petit village parmi les vignes qui, elles, ne craignent pas trop le sec, mais possédant aussi, au-dessus des vignes, des prairies, ce qui suppose la présence de l’eau.

 

Et, comme l’eau du ciel fait complètement défaut, on ne peut compter que sur celle que l’industrie et l’ingéniosité des hommes ont été chercher là où elle se trouve en grande abondance, et fait une parure blanche a cette extrémité supérieure de la chaîne. Une fine dentelle d’argent tout là-haut, aux frontières du ciel, ou sont ces tours, ces aiguilles, ces dômes, tantôt tout recouverts par elle, tantôt qui s’en dégagent et se dressent dans l’azur, mais alors entourés de ses fronçures, de ses replis, ses bouillonnés.

 

Une eau qui n’en est pas encore, une eau plus dure que la pierre, une eau qui est cristal, transparente comme le cristal et friable comme lui, mais que la chaleur amollit, fait redevenir elle-même, rend souple et ductile ; et c’est elle que les hommes ont pensé à utiliser, étant montés à sa rencontre. Et puis, lui ont dit de venir à eux, l’ayant engagée dans des canalisations de bois qu’ils ont dû souvent suspendre aux parois des rochers par le moyen de pieux fichés dans des fissures ; mais enfin ils la tenaient prisonnière et alors l’ont obligée à aller, non pas là où elle aurait été d’elle-même, mais où ils avaient besoin d’elle, ayant établi à cet effet tout un système de canalisations qui l’ont forcée à se répandre par des infinités de rigoles, partout où étaient leurs cultures, comme une chevelure qu’on dénoue, qu’on éparpille et qui, élargie par le peigne, finit par s’étaler sur l’épaule des monts.

 

Ils vivent ainsi grâce à cet apport qu’ils ont provoqué.

 

Ils vivent parmi des arbres verts, bien nourris, pleins de chants d’oiseaux qui font accompagnement à la musique des eaux courantes, dans une belle herbe verte, toujours drue et bien poussée qu’on fauche plusieurs fois de mai à septembre. Ils sont arrivés à faire en sorte que cette grande côte morte dont les couleurs sont celles du minéral, et qui en a l’immobilité, se termine à sa base dans l’exultation de la vie.

 

(in : «Sécheresse »)

 

Auteur.e

C. F. Ramuz (1878-1947) est considéré comme un des plus importants écrivains suisses du xxe siècle, auteur notamment de l’Histoire du soldat, drame mis en musique par Igor Stravinski. En savoir plus ici.

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