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Fernand Chavannes ou la quête d’un théâtre nouveau

portrait

Les réflexions de Fernand Chavannes ont profondément influencé le théâtre romand. L’après-midi à la campagne et autres textes sur l’art et le théâtre, à paraître en avril 2025, offre pour la première fois un aperçu global de l’oeuvre très diverse de cet auteur, à travers des textes choisis et introduits par Joël Aguet, dramaturge et historien du théâtre.

Ce dernier revient ci-après sur les grandes étapes de la carrière de Fernand Chavannes, entre la Suisse et la France. 

 

Fernand Chavannes et la quête du théâtral                            

Fernand Chavannes a ouvert la porte au théâtre d’art en Suisse romande. Ses pièces ont été montées par les premiers metteurs en scène de son temps qui ont apporté cette nouvelle pratique et ont servi de modèles.

 

Ainsi en juin 1916 à la Comédie de Genève, le rôle-titre de Guillaume le Fou est créé par Jacques Copeau, le grand rénovateur de la scène française dont le théâtre parisien du Vieux-Colombier est alors fermé par la guerre. Dans cette pièce audacieuse, Tell le héros suisse (le nom « der Täll » a signifié le « marginal », le « fou » en vieil allemand) apparaît en artiste, ne tenant guère compte de l’avis des prudents hommes politiques : il convainc seul le peuple des trois vallées de chasser leurs occupants. Ce mouvement est aussitôt repris et encadré par les chefs qui n’en voulaient pas, mais Guillaume ne se laisse pas enrégimenter et l’un des Suisses le tue. Cette réinterprétation chavanésienne du mythe confédéral fondateur n’était pas sans grandeur ni audace, présentée en pleine Guerre de 1914.

 

Trois mois avant cette création, Chavannes venait de réaliser dans l’église désaffectée de Pully Le Mystère d’Abraham où il rapproche du public l’Ancien Testament avec une liberté d’invention et un bonheur inégalés depuis Théodore de Bèze. Il propose un « mystère protestant » et invente, à partir d’extrapolations formelles sur des pièces médiévales, un personnage de Lecteur qui donne sur scène le texte biblique, entre les scènes jouées. C. F. Ramuz manifeste son enthousiaste dans une magnifique critique du spectacle : deux ans plus tard, il tirera parti de ce dispositif pour son Histoire du Soldat.

 

Après Copeau, les Pitoëff

Chavannes bénéficie ensuite de la présence à Genève et à Lausanne du metteur en scène russe d’avant-garde Georges Pitoëff et de sa jeune épouse Ludmilla, comédienne qui se révèle d’une expressivité exceptionnelle. À la Salle Communale de Plainpalais où ils viennent d’installer leur compagnie en janvier 1918, après deux premières affiches présentant des pièces de Maeterlinck, Blok, Andreïev et Ibsen, Chavannes fournit seul, avec La Halte au Village et La Vénus-du-Lac, la matière de leur troisième spectacle, en mars 1918. Alors qu’il a fait paraître rapidement ses précédentes pièces, largement approuvées, aux Cahiers vaudois, Chavannes prend cette fois un peu de temps pour réécrire la synthèse des trois actes, en développant le canevas de La Halte mêlée de personnages de La Vénus-du-Lac. La nouvelle pièce, intitulée Musique de tambour, paraît en décembre 1919 dans une forme faussement narrative : l’écriture théâtrale de Chavannes suggère le geste scénique sans l’imposer et accepte que le sens soit transmis sur le plateau plutôt que par le verbe.

 

L’année suivante, Chavannes donne encore aux Pitoëff une comédie en trois actes, Bourg-Saint-Maurice : dans un village valaisan imaginaire, Farinet le faux-monnayeur séduit les filles, puis est finalement arrêté, après avoir enlevé la Belle Gabrielle, qui revient dans sa famille riche comme une nouvelle « reine ». Car la société décrite par Chavannes fonctionne à la façon d’une ruche et les hommes, qui s’y prénomment tous Maurice, semblent des faux-bourdons et meurent à l’automne. Créée à Lausanne et présentée à Genève en octobre 1920, la pièce est retravaillée par l’auteur avant sa publication un an et demi plus tard en vers irréguliers, jouant sur les rythmes et les sonorités. Entre temps, il a collaboré une nouvelle fois avec les Pitoëff en adaptant leur traduction d’Oncle Vania de Tchekhov, qu’ils créent en français à la mi-janvier 1921.

 

Douze mois plus tard, les Pitoëff – trop dénigrés par les ligues de vertu à Lausanne et si souvent contestés dans la presse genevoise pour leur répertoire international et l’inventivité scénique qu’ils proposaient – partent avec leur troupe de comédiens romands s’installer à Paris où un vaste public les attend.

 

Chavannes n’espère plus dès lors être correctement joué dans la région. L’année suivante, il vend son domaine des Prases et va s’établir lui aussi définitivement dans cette capitale. Il n’y trouve cependant ni les appuis ni l’intérêt rencontrés en Suisse, où ses pièces continuent d’être reprises. Même si les rares réalisations présentées en France (Paris, Strasbourg) ne tiennent pas longtemps l’affiche, Chavannes n’en continue pas moins d’écrire pour le théâtre dans de nombreux genres et registres, toujours en quête d’un art théâtral nouveau, à la fois artistique et capable d’atteindre tous les publics, y compris le populaire.

 

Redécouvrir l’œuvre

Fruits des recherches d’une ou deux décennies, les trouvailles et nouvelles propositions dramatiques de Chavannes placent immédiatement l’auteur parmi les premiers de son temps. La rançon de cette influence est que seule cette partie de l’œuvre – ses trois ou quatre grandes pièces représentées et éditées de 1916 à 1922 – a été jusqu’ici prise en compte par l’histoire littéraire et republiée. Chavannes a pourtant écrit bien davantage, laissant plus de vingt-cinq pièces inédites ainsi qu’une centaine de nouvelles, articles ou récits, imprimés dans les périodiques de son temps qui offrent de savoureuses peintures des lieux et des gens parmi lesquels il a vécu comme de ses idées et plaisirs artistiques. L’après-midi à la campagne et autres textes sur l’art et le théâtre remonte à la lumière quelques-uns de ces riches morceaux inconnus.

 

Le volume propose en effet quatre parties, dont deux inédits : la farce d’aujourd’hui, bien qu’inspirée de celle du Moyen Âge, qui donne son titre à l’ensemble et une proposition de Fête des Vignerons de Vevey. Auparavant, les principales observations et réflexions de Chavannes se retrouvent à travers les articles qu’il a fait publier dans divers périodiques. Ils ne se présentent pas comme un programme ou une méthode : il s’agit de prises de position artistique ponctuelles, exposées au détour de l’actualité scénique, dans la presse. Elles composent pourtant, touche après touche, une réflexion cohérente. Les scènes de son temps lui offrent des découvertes stimulantes (et de désolants rabâchages dont il sait aussi tirer parti), mais il ne dédaigne pas pour autant les sources littéraires, jusqu’aux plus anciennes. Chavannes connaissait par ailleurs assez son art pour s’occuper des sujets majeurs et désigner les grandes figures qui allaient marquer son temps. Dans l’un de ses derniers textes parus dans Aujourd’hui, il est à peu près seul commentateur francophone à prendre la mesure de l’importance du travail présenté à Paris par Meyerhold et surtout à se résoudre au changement de hiérarchie créatrice que cela annonce. Bien qu’auteur, il reconnaît la place prise désormais par le metteur en scène dans la pratique du théâtre.

 

L’œil aiguisé de Fernand Chavannes et sa curiosité ne se limitait pas au théâtre : dès décembre 1908, il a l’idée d’écrire sur les villes vaudoises, proposant ainsi la « peinture » d’une petite quinzaine des principales villes du canton de Vaud au début du XXe siècle, parfois sous forme de narrations historiques ou de description urbanistique et des gens qu’il y croise, parfois à travers un moment saisi de la vie de quelques habitants, dans leurs fêtes ou aventure marquante.

 

« C’est sans doute parce que l’art est au cœur de la vie – plus une chose est belle et plus elle est aussi de tous les temps. »

 

Voilà ce qu’écrit Chavannes en 1911, dans son portrait d’Avenches. Après plus d’un siècle, ses écrits sur les cités vaudoise, pour l’art, de ou sur le théâtre, ont conservé leur force de vie et méritent toujours leur ancienne réputation.

 

Joël Aguet

 

 

Fernand Chavannes, L’après-midi à la campagne et autres textes sur l’art et le théâtre, textes présentés par Joël Aguet.

 

 

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