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Croix de bois, croix de fer

Thomas Sandoz

Préface : Dubois Maud

Comédie grinçante en huis clos, déclaration de guerre ­rageuse au déterminisme de la famille, Croix de bois, croix de fer, entre colère et nostalgie, révèle dans toutes ses nuances les coulisses d’un monde où la vertu devient objet d’orgueil.

« Qu’est-ce que tu fais pour les autres ? me sermonnait sans cesse mon frère, convaincu que son chemin de vie était plus méritoire que le mien. C’est lui qui perpétuait la tradition missionnaire de la famille, il en était fier et ne manquait jamais une occasion de me reprocher de n’être ni médecin ni instituteur, même pas croyant. »

 

Historien et agnostique, le narrateur de ce récit est invité au colloque organisé en hommage à son frère, glorieux missionnaire décédé à quarante ans sur une route africaine. Dédaigné par une famille qui considère le sacrifice de soi comme la plus haute qualité humaine, cible récurrente de son aîné qui le jugeait infréquentable, il est bien décidé à troubler le concert des louanges et à dévoiler le vrai visage du défunt. Mais le pourra-t-il, face à l’admiration aveugle de l’assemblée et à ses propres souvenirs ?

 

Huis clos grinçant, Croix de bois, croix de fer explore toutes les nuances d’un monde où le Bien impose sa loi d’airain. Publié en 2016 aux Éditions Grasset, ce texte est précédé ici d’une préface inédite de Maud Dubois, professeure à l’université de Neuchâtel.

Auteur : Thomas Sandoz
Catégorie : littérature romande
Date de publication : 17 novembre 2023
Longueur : 276 pages

ISBN 9782940749300

Il pleuvait à verse quand j’arrivai enfin au Rotary Spa Resort. À première vue, l’hôtel d’altitude n’avait rien du prestigieux établissement de cure que son patronyme laissait imaginer. Avec ses murs blanchis et ses poutres apparentes, sa charpente massive et ses trois étages, il avait certes conservé les traits nobles d’une lointaine jeunesse et tenait son rang dans cet Oberland bernois plébiscité par les touristes du monde entier. Mais les aulnes qui colonisaient les pâtures avoisinantes semblaient sur le point de l’étouffer. Des rafales impétueuses ajoutaient à ce décor brouillon une dimension tragique dont je me serais volontiers passé.

 

M’aidant d’une épaule, je poussai la lourde porte de l’hôtel, conscient qu’une fois le seuil franchi, je ne pourrais plus me défiler. Je n’eus guère le temps d’une dernière rumination, car ma correspondante, une femme d’un certain âge qui se faisait appeler Linette, m’attendait, la mine renfrognée. Elle s’empara de mon sac de voyage, saisit elle-même la clé de ma chambre au tableau de la réception inoccupée et m’entraîna dans les profondeurs du bâtiment. « Tout le monde est déjà là, me dit-elle sur un ton de reproche. On se retrouve dans dix minutes dans le Grand Salon », ajouta-t-elle en maltraitant la poignée de l’espèce de placard où elle venait de me caser. Son accueil pour le moins glacial me laissa sans voix. L’odeur de la pièce, sa tapisserie pelée, son mobilier vérolé, son plancher fibreux me déconcertèrent tout autant. Pas de télévision, pas de voilages contre les vitres, et pour les ablutions un simple lavabo entre une penderie malcommode et la porte. Je m’approchai de la fenêtre, me pinçai les lèvres jusqu’à la douleur. Ma chambre donnait sur une arrière-cour lugubre, pas sur les neiges éternelles de la triade Eiger, Mönch et Jungfrau. Au-delà, le crachin s’efforçait de gommer des chalets aux volets clos qui avaient sans doute poussé à mesure que le parc arboré et les terrains attenants avaient été vendus, parcelle après parcelle, emprunt après emprunt.

 

J’avais d’abord refusé de participer à ce colloque intitulé « L’impératif missionnaire ». Pas à cause des ambiguités de la charité compatissante. Pas non plus au vu des thèmes de réflexion annoncés et de la volonté d’ouverture affichée qui avaient de quoi séduire un large public et même d’intéresser le docteur en histoire que j’étais. Non, le véritable motif de ma résistance était la conviction intime que les organisateurs se méprenaient sur l’engagement et la personnalité de mon frère, et qu’il valait mieux le laisser reposer en paix.

(…)

 

Auteur.e

Thomas Sandoz (1967-…) est l’auteur de romans, d’essais, de monographies et d’articles de vulgarisation scientifique.

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