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Florides helvètes et autres textes

Charles-Albert Cingria

Préface : Christen Alessio

Ce volume rassemble trois des récits les plus importants que Charles-Albert Cingria a consacrés à des localités suisses auxquelles il est attaché. Conjuguant l’exploration de l’espace et le voyage dans le temps, il nous fait partager une vision du monde d’une grande originalité.

Bien que né à Genève, Charles-Albert Cingria détestait qu’on fît de lui un écrivain prisonnier de frontières nationales. Savourant le plaisir d’exister en n’importe quel endroit du monde, il exerce partout, avec une passion amusée, sa faculté de sentir. Dès lors, pourquoi pas à Genève, Berne, Lausanne, Fribourg, tous lieux chargés de pittoresque et d’imprévu ? « Je ne puis vous dire ce que j’aime les rues, s’exclame-t-il. Dans toutes les villes, mais surtout celle-ci. » Celle-ci, c’est Genève ; mais le constat vaut pour tout espace, urbain ou naturel, propice à la promenade telle que Cingria la conçoit, à savoir une découverte permanente du merveilleux au sein du quotidien, et une occasion constante de réconciliation avec le monde. Sont réunis ici trois témoignages majeurs de ce regard singulier : Florides helvètes, Impressions d’un passant à Lausanne et Musiques de Fribourg.

 

Tel qu’il a été publié en 1983 dans la collection « Poche Suisse » des Éditions L’Âge d’Homme, le recueil intitulé Florides helvètes – dont le titre a inspiré le nom de notre maison d’édition – contenait également deux récits portant sur le canton du Valais, Ce pays qui est une vallée et Parcours du Haut-Rhône ; nous les reprendrons ultérieurement dans un second volume. Cette édition est accompagnée d’une préface inédite d’Alessio Christen, qui a collaboré à l’édition critique des Œuvres complètes de Cingria.

Auteur : Charles-Albert Cingria
Catégorie : littérature romande
Date de publication : 25 août 2022
Longueur : 168 pages
ISBN: 9782940733057

Également en format numérique

PDF : ISBN 9782940733064

Epub: ISBN 9782940733071

Curieuse descente en train dans un vaste pays plat un peu incliné.

 

Payerne.

 

On se croirait je ne sais où dans le Midi, dans une ville d’agréables blagueurs. Mais, du Midi, surtout, il y a cette poésie, ce désencombrement calciné. Des mantes religieuses doivent s’ébrouer en grandes cavalcades sur les talus.

 

Le ton des artères est vélocipédiste – noblement. Et là aussi, comme dans toute ville romane-romande, les platanes, vides de feuilles encore, s’en donnent à cœur de joie avec leurs gesticulations de casse-tête anthropophagiques.

 

Que suis-je donc venu faire ici ? Il faut que j’avoue que pour la première fois de ma vie, ce déplacement, de propos délibéré, est uniquement touristique. C’est-à-dire que je suis venu voir quelque chose : visiter un monument, vérifier, contrôler, identifier, m’instruire. Ce qui suivra va prouver si l’on a raison quelquefois d’agir ainsi. L’itinéraire prémédité réserve parfois bien plus de surprise que l’aventure qui s’inscrit telle.

 

Cependant, au début, je ne suis pas encore tout à fait de cet avis. C’est si beau la ville, la vie, que j’ai envie de m’y épanouir sans me préoccuper de l’Abbatiale. D’autant plus que je n’aime guère parler, demander. Heureusement que c’est devant moi et qu’il n’y a en effet rien de plus facile que d’y pénétrer par un tourniquet qui se trouve là au coin de ces vieux murs. Généralement, un tourniquet suppose un contrôle – un visage, tout au moins : ici, il n’y a qu’à le faire tourner et entrer : il n’y a personne. Ces 50 centimes que réclame une pancarte, ils ne seront perçus qu’à la sortie… ou peut-être jamais.

 

Donc, sans transition presque, de la rue, l’on se trouve au sein d’un très curieux intégral que représentent l’Abbatiale, un musée archéologique et, fondu dans lui, un musée entomologique. C’est tout naturellement vers le musée entomologique que sans retard mon être s’élance. Et je ne suis pas le seul. Un cultivateur de la région, sa femme, ses fils, ont aussi eu cette idée lumineuse, et les gosses trépignent, font un babil insensé devant ces vitrines de colibris bleu pâle que les vers ont plus ou moins épargnés. Vraiment, c’est le cas de dire. Il y en a qui n’ont que le liège et un peu de plumage et juste ce qui n’est pas tombé du pauvre petit squelette. C’est bien touchant à considérer !

 

De nos jours, l’on n’empaille guère ou l’on n’empaille plus – pourquoi empaillerait-on ? N’a-t-on pas des photographes en couleurs qui défient la vie même en fait de ressemblance ? Ce progrès ne doit cependant pas nous empêcher de considérer avec tendresse ce qui subsiste d’une époque où le fait de tendre la peau scalpée et tannée d’un animal parfois chéri sur son imitation plus ou moins réussie en liège ou en bois fut le grand engouement. Ce fut alors de la sculpture que l’on fit, plutôt, avec une mince participation de cadavre. Et il faut avouer que plusieurs de ces sculpteurs furent des génies. Ici, en tout cas. Par exemple ces biches et ces cinq belles antilopes à sabre de Sénégambie. Qu’est-ce qu’elles font ici ? Très bien ! Elles font très bien, elles sont tout à fait à leur place à Payerne ce dimanche à deux heures de l’après-midi sur la mappemonde de papier mâché, alors que quelqu’un comme moi, que la vie émerveille, est venu, et que des cultivateurs avec leurs familles sont aussi venus et que se perpètre ce rite quand même dans l’existence qu’est un jour ou l’autre – et ce jour-ci plutôt qu’un autre – la visite d’un musée.

 

Auteur.e

Le regard décalé et la virtuosité de son style ont valu à Charles-Albert Cingria (1883-1954) l’admiration de ses contemporains, notamment Max Jacob, Claudel et Cocteau.

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