
Heidi / Encore Heidi
Préface : Bagnoud Alain
Traduction : Vidart Camille
Une petite fille monte à l’alpage et conquiert le monde : c’est le fascinant destin de Heidi, personnage mythique de la Suisse profonde, devenue star du dessin d’animation japonais.
Les deux tomes de ses histoires originales sont réunis ici, en un seul volume.
Enfant orpheline, Heidi est confiée à la garde d’un grand-père bourru, là-haut sur l’alpage. Elle se lie d’amitié avec Peter, le petit chevrier, et avec la grand-mère de celui-ci, mais doit brusquement partir à la ville, en Allemagne, pour y rejoindre sa tante qui s’occupe d’une fillette paralysée, Clara. L’amitié qui naîtra entre elles ne suffira pas à guérir Heidi de la nostalgie : ne supportant pas la vie citadine et tombe malade. Elle est autorisée à retourner chez son grand-père, mais Clara se voit ainsi enlever sa seule amie et son état de santé décline à son tour. Que faire? La réponse se trouve sur l’alpe…
Les histoires de Heidi ont été publiées en deux parties : la première en 1880 (Heidis Lehr-und Wanderjahre), la seconde en 1881 (Heidi kann brauchen, was es gelernt hat). Traduits pour la première fois en français par Camille Vidart, enseignante et féministe militante, ces deux tomes ont paru en 1882 déjà aux Éditions Georg, à Bâle. Réunis en un seul volume dans la présente édition, ils sont accompagnés d’une préface inédite d’Alain Bagnoud, écrivain.
Johanna Spyri naît en 1827 dans le canton de Zurich. Après quelques années d’études, elle épouse l’avocat et journaliste Johann Bernhard Spyri dont elle a un enfant en 1855. Lectrice passionnée, proche des milieux culturel et intellectuel zurichois, elle publie dès 1871 des histoires pour enfants. Après la mort de son époux et de son fils en 1884, elle se consacre pleinement à la littérature, laissant dernière elle, à son propre décès en 1901, plus de trente ouvrages.
Auteure : Johanna Spyri
Titre original : Heidis Lehr-und Wanderjahre / Heidi kann brauchen, was es gelernt hat
Catégorie : littérature germanophone
Date de publication : 28 juin 2024
Longueur : 324 pages
ISBN 9782940749874
Également en format numérique
PDF : ISBN 9782940749881
Epub: ISBN 9782940749898
Le Matin Dimanche – Isabelle Falconnier, 28 juillet 2024
La toute première traduction en français de l’oeuvre de Johanna Spyri par son amie féministe Camille Vidart reparaît enfin. Et efface les suites et adaptations édulcorées qui ont rendu la fillette célèbre dans le monde.
(…) La réédition du texte signé Camille Vidart est un événement. Tout d’abord, il s’agit du texte original complet, composé des deux tomes écrits par Johanna Spyri. Ensuite, c’est une excellente traduction, vive, précise, qui permet aux personnages d’apparaître dans toute leur force de caractère et diversité, et à l’histoire de dévoiler sa belle complexité. Une histoire qui parle aux lecteurs de 2024 presque autant qu’à ceux de 1882, tant ses thèmes sont d’actualité : il est question d’esprit d’enfance que nous cherchons tous à préserver, qui à retrouver; de qualités propres à Heidi qui reviennent en grâce, la gentillesse et l’altruisme; de ce que viennent chercher dans les Alpes les visiteurs du monde entier, c’est-à-dire les vertus d’une vie simple, bonne et naturelle; de soif de liberté et d’indépendance d’esprit; d’écologie et de décroissance; d’opposition entre la modernité, voire l’ultramodernité, et un passé intemporel incarné par la vie à la montagne; de réconciliation entre ces deux extrêmes.
Quand on quitte le riant village de Maienfeld pour gravir la montagne a l’aspect imposant et sévère qui domine cette partie de la vallée, on s’engage d’abord dans un joli sentier de plaine à travers champs et vergers. Au pied de la montagne, le sentier change brusquement de direction et monte tout droit jusqu’au sommet ; à mesure qu’on s’élève, l’air devient plus vif, et l’on respire à pleines bouffées les fortes senteurs des pâturages et des herbes alpestres.
C’est ce sentier que gravissait par une brillante matinée de juin une grande et robuste fille de la contrée, tenant par la main une enfant dont le visage paraissait en feu malgré sa peau brunie. Ce n’était pas étonnant, car, en dépit de la chaleur de juin, la pauvre enfant était empaquetée comme au gros de l’hiver. Elle pouvait avoir cinq ans, mais sa véritable taille disparaissait sous une accumulation de vêtements : deux robes, l’une sur l’autre, un gros mouchoir de coton rouge croisé par-dessus, et d’épais souliers de montagne garnis de clous. La pauvre petite suffoquait et avait bien de la peine à avancer.
Il y avait une heure environ que les deux voyageuses avaient commencé à gravir le sentier, lorsqu’elles arrivèrent au hameau de Dörfli, situé à mi-chemin du sommet. C’était le village natal de la jeune fille ; aussi s’entendit-elle bientôt appeler de tous côtés. Les fenêtres s’ouvraient, les femmes paraissaient sur le seuil de leur porte, chacune voulait l’arrêter au passage et échanger quelques mots avec elle. Mais elle ne fit halte nulle part, se contenta de répondre en passant aux salutations et aux questions, et ne ralentit sa marche que lorsqu’elle se trouva devant une maison isolée, a l’extrémité du hameau. Une voix l’appela par la porte ouverte :
« C’est toi, Dete ? Attends un instant, nous ferons route ensemble, si tu vas plus loin. »
Ainsi interpellée, la jeune fille s’arrêta, et l’enfant en profita aussitôt pour dégager sa main et s’asseoir sur le bord du sentier.
« Es-tu fatiguée, Heidi ? demanda sa compagne.
— Non, mais j’ai trop chaud, répondit la fillette.
— Nous serons tout de suite en haut ; il te faut prendre encore un peu courage et faire de grands pas ; dans une heure nous serons arrivées. »
À ce moment, une grosse femme a la figure jeune et bienveillante sortit de la maison et les rejoignit. L’enfant se leva et se remit à marcher derrière les deux amies qui entamèrent aussitôt une conversation animée sur tous les habitants de Dörfli et des localités voisines.
« Mais, ou vas-tu donc avec cette petite, Dete ? demanda enfin la nouvelle venue. C’est sans doute l’enfant que ta sœur vous a laissé ?
— Oui, répondit Dete, je la mène chez le Vieux de l’Alpe ou elle restera.
— Comment, tu veux que cette enfant reste chez le Vieux de l’Alpe ? Je crois vraiment que tu as perdu la tête, Dete ; comment peux-tu faire une chose pareille ! Tu verras comme il va t’envoyer promener avec ta proposition.
— Par exemple ! il est le grand-père de la petite, il faut qu’il fasse sa part ; c’est moi qui l’ai eue sur les bras jusqu’à présent. Du reste, tu peux bien être sure, Barbel, que ce n’est pas à cause d’elle que je vais laisser échapper une place comme celle qu’on m’offre. C’est le tour du grand-père, à présent.
— Oui, s’il était comme les autres gens, je ne dis pas, reprit vivement Barbel. Mais tu le connais ; que veux-tu qu’il fasse d’une enfant, et si petite encore ! Elle ne pourra pas y tenir.
Et toi, ou veux-tu donc aller ?
— À Francfort, répondit Dete. J’ai la une fameuse place chez des gens qui sont déjà venus l’an dernier à Ragatz ; c’est moi qui faisais leurs chambres et qui les servais, et ils m’auraient déjà emmenée si j’avais pu quitter au milieu de la saison. Cette année ils sont revenus, et ils m’offrent de nouveau de partir avec eux. Pour cette fois, j’irai, tu peux y compter !
— Ce qu’il y a de sûr, c’est que je ne voudrais pas être la petite, reprit Barbel. Personne ne sait au juste quelle sorte d’homme est le Vieux de l’Alpe. Il ne veut avoir affaire à personne ; de toute l’année, il ne met pas les pieds à l’église, et quand une fois par an, il descend avec son gros bâton, tout le monde a peur de lui et l’évite. Il a tout à fait l’air d’un païen ou d’un Indien, avec ses épais sourcils gris et sa terrible barbe ; et je t’assure que j’aime autant ne pas le rencontrer seule !
— Eh bien quoi ! répliqua Dete piquée, il n’en est pas moins le grand-père, et il faut qu’il prenne soin de l’enfant. Que veux-tu qu’il lui fasse, apres tout ? Du reste, quoiqu’il arrive, c’est lui qui en sera responsable, et pas moi.
— Je voudrais seulement savoir, continua Barbel, ce que ce vieux peut bien avoir sur la conscience pour faire des yeux si terribles et pour vivre tout seul là-haut sans jamais voir personne. On fait toutes sortes de récits sur son compte ; tu dois bien en savoir quelque chose par ta sœur, n’est-ce pas, Dete ?
— C’est bien sûr que j’en sais quelque chose ! Mais je me garderai bien d’en parler ; s’il l’apprenait, cela me ferait une belle affaire ! »
Cependant la curiosité de Barbel n’était pas satisfaite. Il y avait longtemps déjà qu’elle désirait savoir ce qu’il en était de ce Vieux de l’Alpe, a l’air si rébarbatif, a la vie si solitaire, et dont les gens ne parlaient qu’à demi-mot, comme s’ils craignaient d’être contre lui, sans oser pourtant prendre son parti. Barbel ne savait pas non plus pourquoi les habitants de Dörfli l’appelaient le Vieux de l’Alpe ; il ne pouvait tout de même pas être leur ancêtre à tous.