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La poudre de sourire

Marie Métrailler
Marie-Magdeleine Brumagne

La poudre de sourire dévoile le regard particulier que portait sur le monde Marie Métrailler. À travers le témoignage de cette femme visionnaire, à la personnalité hors du commun, se dessine également ce qu’était la vie dans les montagnes valaisannes, au début du XXe siècle.

 

Depuis son village d’Évolène, niché au cœur du val d’Hérens, Marie Métrailler livre un récit touchant sur le Valais d’autrefois. Avec discernement, mêlant sagesse et malice, elle évoque ses souvenirs : la rudesse de la vie rurale, les coutumes et les légendes locales, la religion, mais également son enfance, son quotidien de tisserande autodidacte dans un contexte économique autarcique, sa condition dans une région et à une époque où l’autonomie des femmes est quasiment inexistante. De son récit se dégage aussi son grand attachement au patois, à l’artisanat et aux valeurs terriennes.

 

Ce témoignage est le fruit de nombreux entretiens recueillis par la journaliste et écrivaine Marie-Magdeleine Brumagne dès l’été 1974 et jusqu’à la mort de Marie Métrailler, au printemps 1979. Il a été publié pour la première fois à titre posthume en 1980.

 

Cette édition est accompagnée d’une préface inédite de Federica Tamarozzi, conservatrice du département Europe au Musée d’ethnographie de Genève.

Auteure : Marie Métrailler et Marie-Magdeleine Brumagne
Catégorie : littérature romande
Date de publication : 21 avril 2023
Longueur : 264 pages

ISBN 9782940733910

Également en format numérique

PDF : ISBN 9782940733927

Epub: ISBN 9782940733934

Echo Magazine – Thibaut Kaeser, 28 septembre 2023

C’est un témoignage personnel, passionnant, précieux et bien écrit éclairant une collectivité, le Valais d’autrefois, à travers le destin d’une femme.

 

Gazette de Martigny – Maëlle Schütz, librairie Des livres et moi, 3 mai 2024

(…) Avec une écriture proche de celle du conte, on se laisse volontiers embarquer dans ce récit fabuleux dans lequel les plus anciens d’entre nous reconnaîtront leur jeunesse et la vie de leurs parents, les plus jeunes réaliseront quels défis ont traversé nos courageux aïeux… et quel vivant et merveilleux héritage ils nous ont laissés…

 

Quand j’ai eu vingt ans, mon père m’a dit : « Je te remets la conduite de la maison. »

Il voulait me faire honneur, je le sais, mais en même temps c’est moi qui devais équilibrer notre budget sans aucun moyen.

La campagne ne rapportait pas assez pour nous remettre à flot. Pendant deux ou trois ans, contre la volonté de ma mère, je me suis engagée, l’été, dans un hôtel à Arolla. Elle n’a jamais compris qu’on pouvait travailler honnêtement n’importe où !

La première année, j’avais rapporté beaucoup d’argent ; sept cents francs, tu te rends compte ! On a pu arrêter les dettes pressantes, garder la maison. En trois saisons, j’ai pu payer le plus gros des arriérés… Les autres, je les ai traînés encore longtemps.

 

Imagine un peu ma situation : à vingt ans, j’étais chef de famille ! Chef de famille de grands enfants qu’on ne pouvait plus faire obéir. J’avais toutes les charges, aucun droit. Je parle des droits qu’avaient les hommes, qu’avaient mes frères.

 

Avec mon père, c’était facile : « Faut-il planter ce champ ?… Faut-il faire ceci ou cela ?… » Il me répondait : « C’est toi qui diriges, fais ce que tu crois bon, je suis hors la vie. »

Avec ma mère, c’était plus compliqué. Elle n’avait jamais voulu s’occuper du train-train quotidien ; elle ne savait pas y faire. Quand elle prenait une décision, c’était presque toujours à contresens.

 

Les années ont passé. J’ai eu mes vingt-trois ans. Les difficultés d’argent étaient toujours là… et… le malheur du père que je n’aime pas évoquer. J’ai toujours la blessure dans la poitrine.

 

Je ne savais pas comment faire pour remonter la pente. Un jour, on m’a demandé de descendre à Sion voir une exposition où une dame de Genève présentait des travaux de dentelles à la main, un point de Venise exécuté au gros fil de chanvre. Elles avaient beaucoup d’allure, ces dentelles ! J’ai trouvé l’idée intéressante. On pourrait peut-être relancer dans la vallée une forme d’artisanat qui donnerait aux femmes la possibilité de gagner quelques francs, bien à elles.

On me chargea de mettre l’affaire en route, de grouper quelques paysannes d’Evolène pour les faire travailler et de leur apprendre le métier.

Elles ont bien travaillé ; les dentelles étaient superbes. L’été suivant, j’ai ouvert une modeste boutique pour les vendre. Ce fut un désastre. Je n’ai rien vendu. Le point de Venise, très long à exécuter, revenait trop cher pour qu’on puisse en tirer quelques bénéfices. C’était un faux départ. Je cherchais ce que nous pourrions faire. J’y pensais jour et nuit, quand m’est venu tout d’un coup à l’esprit d’utiliser le métier à tisser nos toiles du pays, le métier que mon père avait offert à ma mère pour leurs noces.

Je me suis dit : si je mettais à l’honneur nos vieux tissus ancestraux ? Ici, nous savions toutes tisser… On plantait, on filait le chanvre, le lin ; on achetait seulement le coton. On tissait des toiles de pur fil, de mi-fil pour les besoins de la famille.

 

En se mariant, toutes les femmes chez nous avaient leur métier compris dans le trousseau, comme chez vous en plaine la machine à coudre. J’ai commencé seule chez moi sur un métier de soixante-dix centimètres de large. Cette largeur n’était pas suffisante. J’ai demandé à un menuisier de m’en construire un plus grand. L’année suivante, j’ai bien vendu mes tissus aux touristes. J’avais même des commandes, de plus en plus de travail.

J’ai alors intéressé d’autres femmes, une… deux… jusqu’à sept, dispersées dans le village. Un peu plus tard, j’ai ouvert un atelier avec cinq métiers, j’ai engagé des tisserandes et j’ai fini par acheter ma boutique.

 

J’avais compris qu’il fallait diviser le travail. Une seule personne ne pouvait pas tout faire, du tissage à la vente en passant par la préparation des chaînes, ce qu’on appelle la mise en carte, suivant le dessin du tissu. J’ai cherché de nouvelles formules de tissage ; j’ai pensé aux broderies en vieux points du pays pour décorer nappes et coussins ; j’ai pensé aux ajours, très beaux, que nous faisions sur nos blouses de costumes et que l’on pouvait utiliser sur les napperons ; j’ai pensé à ces rubans brodés qui garnissaient nos bonnets d’enfants, à nos ceintures de tabliers… J’avais plein d’idées que je réalisais. Elles ont plu. Je n’en suis pas encore revenue… J’ai continué jusqu’à septante-quatre ans. Cinquante années de mises en carte des métiers, cinquante années dans ma boutique. Toute une vie !

 

Auteur.e

Marie Métrailler (1901-1979) a créé au début du XXe siècle, à Évolène, un atelier de tissage qui sera source d’émancipation pour de nombreuses femmes de la région.

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