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L'araignée noire / Le déluge en Emmental

Gottfried Keller

Préface : Haenggli Claude

Traduction : Haenggli Claude, Briod Blaise

Illustration : Robert Léo-Paul

Des araignées noires, un dragon de l’Emme… Gottfried Keller explore dès le début du XIXe siècle l’horreur et le fantastique, dans de courts romans aujourd’hui encore considérés comme des classiques de la littérature germanophone.

 

Adaptée à de nombreuses reprises au théâtre et à l’opéra, L’araignée noire a été portée sur grand écran en mars 2022 par Markus Fischer.

Dans L’araignée noire, l’écrivain aborde un sujet de portée universelle en explorant les réactions de tout un village face à une invasion d’araignées noires qui déciment peu à peu les habitants. Le caractère fantastique de la nouvelle n’empêche pas Gotthelf d’étudier les réactions de ses pairs comme il fait, en partant de l’évocation d’une catastrophe bien réelle, dans Le déluge en Emmental.

 

L’araignée noire a été publiée une première fois dans la collection « Poche Suisse » des Éditions L’Âge d’Homme en 1979, avec deux autres nouvelles ; le texte y a été repris en 2010 dans une version révisée, conjointement avec Le déluge en Emmental. Les deux récits sont accompagnés dans cette nouvelle édition d’une préface revue et enrichie de Claude Haenggli, traducteur.

Auteur : Gottfried Keller

Titre orginal : Die schwarze Spinne / Die Wassernot im Emmental

Catégorie : littérature germanophone
Date de publication : 22 novembre 2024
Longueur : 212 pages

ISBN 9782940733156

Également en format numérique

PDF : ISBN 9782940733163

Epub: ISBN 9782940733170

(Extrait de L’araignée noire)

 

Seule Christine ne put s’enfuir, elle apprenait à ses dépens comment on attire le diable en chair et en os, pour peu qu’on l’évoque. Elle restait clouée au sol comme retenue par une force magique et ne pouvait que regarder la plume rouge du béret et le va-et-vient de la barbiche rouge dans le visage noir. L’homme vert lança son rire de crécelle dans le dos des hommes qui détalaient, mais se tourna vers Christine de l’air le plus tendre et, le geste courtois, lui prit la main. Christine voulut la retirer, mais déjà elle était à la merci de l’homme vert et lui il semblait que sa paume grésillait entre des pinces chauffées à blanc. Et il se mit à lui débiter de belles paroles, tandis que la barbiche rousse frétillait de convoitise. « Il y a beau temps qu’il n’avait vu une si belle petite femme, disait-il, que le cœur lui en sautait dans la poitrine ; et avec ça, il les aimait courageuses ; à toutes, il préférait les femmes qui n’avaient pas peur de rester avec lui quand les hommes prenaient la fuite. »

 

À mesure qu’il parlait, Christine le trouvait de moins en moins redoutable. Il y aurait moyen de s’entendre avec lui, se disait-elle, et je ne sais pas pourquoi je m’enfuirais, j’en ai vu de bien plus répugnants que lui. Et elle revenait toujours à cette idée : il y avait quelque chose à tirer de celui-là ; si on lui parlait de la bonne manière, il était bien capable de chercher à vous obliger, et en fin de compte, on aurait toujours la ressource de le rouler tout comme les autres hommes.

 

— Je ne comprends pas, poursuivit l’homme vert, pourquoi on a tellement peur de moi, quand je ne veux que du bien à tout le monde. Seulement, si les gens se conduisent avec moi comme des malotrus, il ne faut pas trop s’étonner que je ne fasse pas toujours leurs trente-six volontés.

 

Alors Christine, prenant son courage à deux mains, lui répondit :

— C’est qu’ils sont bel et bien épouvantés et il y a de quoi ! Pourquoi leur avoir demandé un enfant non baptisé ? Vous auriez pu, tout de même, leur proposer un autre salaire, parce qu’on a trouvé ça louche, bien sûr : un enfant, c’est toujours une créature humaine, et le livrer ainsi, non baptisé, jamais un chrétien n’y consentira.

— C’est mon salaire, celui auquel je suis habitué, je ne me dérange pas à moins. Et d’ailleurs, pourquoi faire tant d’histoires pour un enfant que personne ne connaît encore ? C’est quand il vient de naître qu’on s’en débarrasse le plus facilement, avant qu’il vous ait donné de la joie et coûté de la peine. Mais moi, plus ils sont jeunes, mieux ça me va, plus tôt je puis les avoir en main pour les former à ma façon, plus je les mène loin, et à ce compte-là, je n’ai pas besoin de baptême et je n’en veux rien.

 

Auteur.e

Jeremias Gotthelf (1797-1854) était connu pour ses nouvelles et ses courts romans, qui exaltent les vertus de la société campagnarde de son temps. Très pour les descriptions saisissantes et ses fines observations de ses contemporains, il est à l’origine de l’un des premiers contes gothiques en Suisse.

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