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Le chien Tristan

Etienne Barilier

Préface : Corbellari Alain

Ce roman policier, agressif et retors, est aussi un roman de la beauté, contemplatif et musical, mais avant tout le roman du romantisme, de sa grandeur et sa dérision.

Volontairement cloîtrés au cœur de Rome, les protagonistes de ce livre « jouent » à s’identifier aux grands créateurs du XIXe siècle, Wagner, Liszt ou Nietzsche. Fous du génie qu’ils n’ont pas, ils sentent que le romantisme, bien plus qu’une exaltation de la passion, est une recherche passionnée d’une vérité à laquelle ils sacrifient leur bonheur et leur équilibre. Hors de leur siècle, de leur pays, hors de toute certitude religieuse, placés nus devant l’évidence et l’effroi de l’existence, ces « inadaptés » sont pourtant l’image de l’homme contemporain, déraciné du sacré, et n’osant plus s’avouer à lui-même sa quête désespérée du Vrai. Confrontés à une femme qui refuse le rôle de sublime prétexte, ces personnages deviendront les rivaux tragiques et pitoyables d’un être dont le regard détient la vérité sans la conscience : un chien, que sa maîtresse a nommé Tristan.

 

Couronné du Prix d’honneur de la Ville de Paris en 1978, entré en 1993 dans la collection « Poche Suisse » des Éditions L’Âge d’Homme, Le chien Tristan est accompagné dans cette nouvelle édition d’une préface d’Alain Corbellari, professeur de littérature française médiévale aux universités de Lausanne et de Neuchâtel.

Auteur: Étienne Barilier
Catégorie: littérature romande
Date de publication : 25 août 2022
Longueur : 312 pages
ISBN: 9782940733002

Également en format numérique

PDF : ISBN 9782940733019

Epub: ISBN 9782940733026

C’était à Rome, dans les jardins de l’Institut suisse. Tandis que montaient vers la lune, mais sans l’atteindre, les musiques les plus romantiques (et le lecteur comprendra bientôt ce que nous voulons dire), il se produisit un vol, prélude à deux crimes.

 

Tout avait pourtant si bien commencé. On fêtait, dans la pudeur, les dix jours de la Déclaration d’indépendance des Suisses de Rome. Le hasard voulut que ce soir-là (le 8 juin) un homme d’une rare perspicacité fût présent, comme hôte de passage. Sa générosité, sa droiture, jointes à sa vigueur créatrice, à son intuition subtile, lui permirent d’approcher la solution des énigmes que les auteurs du vol et des crimes posèrent, avec une habileté diabolique, à tous les enquêteurs. Mais cela lui coûta très cher. Véritable servant du Bien, prêtre de l’art angélique, il parvint seul à la hauteur du génie déployé par l’Ennemi. Et encore, nous verrons si sa victoire ne fut pas une défaite — celle de Rome. Cet homme, vous l’avez tous reconnu, c’était Franz Liszt, ou plus exactement quelqu’un qui lui ressemblait à s’y méprendre, et qui l’admirait inconditionnellement. C’est pourquoi nous l’appellerons de ce nom la plupart du temps, quand bien même le lecteur sait pertinemment que le musicien mort en 1886 ne peut en aucune manière accepter la charge de détective en 1976, même à cinquante mètres de la via della Purificazione, où le vrai Franz vécut avec sa chère maîtresse Marie d’Agoult, jouant pour sa progéniture illégitime les Scènes d’enfants de Schumann, dont les effluves durent atteindre la colline du futur Institut suisse, mêlés aux rayons de la lune, qui n’éclairait alors que des pins et des palmiers ignorants de l’Helvétie. Mais il nous faut commencer par le commencement.

 

D’abord les lieux. Si le lecteur craint d’être abusé, qu’il sache que tel n’est point notre but : Rome est une ville qui existe ; au cœur de Rome, l’Institut suisse existe également. Cette bâtisse occupe dans la cité la position que la Suisse occupe dans l’Europe : entourée de chefs-d’œuvre, elle n’est pas elle-même absolument un chef-d’œuvre. Construite sur un spécieux mamelon, surmontée d’une tour dont l’altitude ne le cède qu’au clocheton de la coupole Saint-Pierre, elle est le fruit des amours d’un industriel tessinois avec la betterave. On raconte que Mussolini, sa main grasse auréolant l’épaule dudit industriel, aurait hanté les couloirs de cette maison, couloirs blancs comme ceux d’une clinique pour tuberculeux. Le Duce, dont on connaît les réalisations architecturales, toutes de grâce et de puissance, devait se trouver à l’aise sur cette montagne magique au pays de Tibère et de Caligula, et dont l’ébouriffante et prétentieuse laideur n’excède en rien, après tout, celle des thermes de Caracalla ou du Vittoriano. Le sucre des phalliques betteraves n’était pas perdu pour tous les monuments de Rome. Et tant pis pour les esprits chagrins qui ne jurent que par le « travertin », ce marbre orangé, trop sensible aux lueurs du couchant, toujours prêt à faire croire à la ruine prochaine de la Ville Éternelle.

 

L’épouse de l’industriel tessinois, devenue comtesse par grâce vaticane (elle était parvenue à convaincre son mari de ne pas construire la tour de l’Institut plus haute que la coupole Saint-Pierre ; ceci, après une entrevue dramatique avec le pape, au cours de laquelle il fut question des manifestations temporelles de la gloire divine), la comtesse, dont le portrait Jugendstil trône dans un des salons du palais, serait enterrée au fond du jardin. Comme on le voit, bien des points restent obscurs dans le passé de l’Institut suisse de Rome. Tout ce que l’on peut affirmer, c’est qu’un chien, nommé Tristan, et dont nous aurons à reparler, hurle volontiers à l’agonie dans certains recoins du parc. Sa maîtresse, qui a grande confiance en l’intuition de l’animal, a souvent affirmé qu’il sentait la mort à distance, aussi bien dans le temps que dans l’espace. Nous verrons que Tristan, à partir du 8 juin, aura quelques occasions plus pressantes et plus tragiques de hurler.

Auteur.e

Romancier, essayiste, philosophe et traducteur, Étienne Barilier est l’auteur de plus de soixante romans et essais consacrés à des thèmes littéraires, philosophiques, politiques et artistiques.

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