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L'enfant secret

Jean-Michel Olivier

Préface : Kaempfer Jean

Entre Trieste, Turin et Nyon, L’enfant secret retrace l’histoire intime de quatre personnages dont les destins s’entremêlent sur fond de Seconde Guerre mondiale.

Une envoûtante « remontée du temps » qui a valu à Jean-Michel Olivier le Prix Michel-Dentan en 2004.

Nora et Antonio sillonnent l’Italie sur les traces d’un certain Mussolini, dont Antonio devient le photographe attitré. Émilie et Julien vivent à Nyon, sur la Côte vaudoise, et rêvent depuis toujours d’ouvrir une auberge de campagne. Ils ne se connaissent pas. Ils ne parlent pas la même langue. Ils n’ont pas les mêmes rêves. Mais leurs destins vont se croiser, puis s’épouser au cours de la première moitié du xxe siècle.

 

Cette édition est accompagnée d’une lecture du roman par Jean Kaempfer, professeur honoraire de l’université de Lausanne.

 

Auteur : Jean-Michel Olivier
Catégorie : littérature romande
Date de publication : 22 septembre 2022
Longueur : 204 pages

ISBN 9782940733309

Également en format numérique

PDF : ISBN 9782940733316

Epub: ISBN 9782940733323

C’est au début du siècle, dans la cour d’une ferme, l’image est encore floue.

Un enfant joue au ballon. Il s’appelle Julien. Il a huit ans, neuf ans peut-être. Il court au milieu des lapins, des oies, des poules, tandis que son père, manches retroussées, coupe du bois.

Il fait chaud, c’est l’automne.

L’homme s’éponge le front, puis reprend son travail, infatigablement, pendant que l’enfant gambade autour de lui.

Soudain, le ballon rebondit sur le billot et le gamin se précipite pour l’attraper.

Il ne voit pas son père qui fend le bois. Il ne voit pas la hache qui tombe comme un éclair. Il ne voit pas le ciel qui s’ouvre brusquement.

L’homme non plus n’a rien vu.

Ou plutôt il a vu l’enfant qui surgissait, mais trop tard, la hache était déjà partie.

Elle a frappé l’enfant derrière la tête et le sang a giclé.

Tout de suite, le père s’en est pris à l’enfant. Mais quand il a vu qu’il pleurait, et le sang qui coulait de sa tête, il s’est calmé, le juge de paix de la côte vaudoise.

À la mère qui criait, il a dit que ce n’était qu’une éraflure, et que l’enfant n’avait pas à jouer dans ses jambes. Que ça lui apprendrait.

La mère a nettoyé le sang, il y en avait partout, sur le visage, sur les mains, les habits.

Quand elle eut fini, l’enfant s’est arrêté de pleurer, miraculeusement, comme s’il était guéri.

Alors la mère s’est dit que l’homme avait raison, comme toujours.

 

On a enveloppé la tête de l’enfant dans une serviette bien serrée pour arrêter l’hémorragie.

C’est la première image de mon histoire : un sacrifice à la campagne.

 

Les jours suivants, on travaille beaucoup.

Il y a le fayard à rentrer, le foin des champs à retourner, le raisin qui attend dans les vignes.

L’enfant se plaint de maux de tête, d’étourdissements. Il ne tient plus sur ses jambes. À sa mère il raconte qu’il a de la neige plein les yeux : une neige bizarre, toute rouge et poisseuse, qui flotte dans sa tête. Et sa mère le console comme elle peut en lui donnant de la tisane de camomille avec du miel.

 

C’est un temps de violence et de secret.

Quand quelque chose arrive dans une famille (une rencontre, un accident, une émotion) on n’a pas le droit d’en parler. On le relègue aux oubliettes. On l’efface de toutes les mémoires.

 

L’ordre qui règne alors, c’est la loi du silence.

 

La première image d’Émilie, c’est une jeune fille qui boite, entourée de ses frères et sœurs.

Il y en a beaucoup, cinq, six, sept, je ne sais plus. C’est l’époque des familles nombreuses.

Émilie est l’aînée. Son visage est sévère, comme vieilli avant l’âge. Elle a une robe d’été, des rubans verts dans ses cheveux. Elle porte des chaussures à boucles, comme c’est la mode en ce temps-là, mais le pied droit est légèrement plié, dans un geste discret, qui pourtant figure sur toutes les photos, comme une signature, car elle a une jambe plus courte que l’autre, et elle essaie de le cacher.

Comme Julien, elle vit à la campagne, dans le village voisin, ils ne se connaissent pas. Son seul plaisir, pour le moment, c’est le bal du samedi soir. Elle n’en manque pas un seul, même si elle doit marcher des heures par les chemins de terre, sous les gifles du vent, la pluie ou même la neige, elle aime tellement danser.

 

C’est la deuxième image de mon histoire : une femme à la tombée du jour qui marche en cahotant vers les lumières d’une fête foraine.

 

La musique, c’est aussi la passion d’Anton, et sa raison de vivre.

À l’époque dont je parle, c’est un enfant, comme Julien et Émilie, mais il vit à Trieste, lui, une ville autrichienne. Il porte un nom qu’il va bientôt abandonner, ou plutôt traduire (trahir) dans une langue étrangère, et deux sœurs plus jeunes que lui sur lesquelles il veille jalousement.

 

C’est la troisième image. Elle n’est pas encore nette, pas encore totalement développée : un enfant destiné au voyage, à l’insouciance, à la lumière, à la dépossession.

 

Auteur.e

Journaliste et écrivain, Jean-Michel Olivier (1952-…) poursuit une carrière alternant romans, essais et articles critiques.

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