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Les nuits sans fêtes

Clarisse Francillon

Préface : Maggetti Daniel

Par petites touches, Clarisse Francillon esquisse le portrait de huit femmes oscillant entre rêves et envies, désirs et insatisfactions, soif de liberté et entraves.

« La peur grandissait en elle, et autre chose encore, déjà peut-être l’angoisse mystérieuse de sa joie. »

 

En huit nouvelles, ce recueil fait le portrait d’autant de femmes à un moment charnière de leur existence : huit mondes intérieurs bouleversés par le rêve et le désir et par leur face obscure, l’envie et l’insatisfaction. De manière originale, lucide et subtile, Clarisse Francillon éclaire sans pathos, sans explications et encore moins de morale, ces moments où un grain de sable, une fêlure conspirent à nous faire baisser les bras, à décider « contre nous-mêmes ».

 

Publié en 1942 à L’Abbaye du livre, Les nuits sans fêtes est précédé dans cette nouvelle édition d’une préface inédite de Daniel Maggetti, professeur à l’université de Lausanne où il dirige le Centre des littératures en Suisse romande.

Auteure : Clarisse Francillon

Catégorie : littérature romande
Date de publication : 31 mai 2024
Longueur : 252 pages

ISBN 9782940749768

Également en format numérique

PDF : ISBN 9782940749775

Epub: ISBN 9782940749782

Le vieillard répétait toujours :

« En automne du hêtre rouge, en été une de nos gerbes, au printemps des jonquilles, celles du Bon Dieu ou un beau bouquet de chatons, mais pas de rubans, pas de couronnes, je ne veux rien de tout ce commerce. »

 

Et puisqu’aucun chaton n’éclatait encore le long des haies, ils recouvrirent le cercueil de branches de sapin, et Berthe cueillit au bord du pré quelques perce-neige. Mais la palme en perles de verre que la belle-fille ne put se retenir de commander à Bienne, ils furent bien obligés de la mettre aussi.

 

Alors, pour la dernière fois, le grand corps du fermier Houriat traversa le village. Son fils le suivait, ses gendres, et les Anciens d’Église. La neige d’avril fondait, molle et jaune.

 

Les gens de la rue, les gens au seuil des boutiques, regardaient passer le convoi. D’abord le fils, tout seul, guindé dans l’habit de son mariage et balançant derrière son dos un melon doublé de soie ; les gendres marchaient l’un après l’autre.

 

Quatre gendres. Car le vieillard avait quatre filles. Quoi de plus naturel, n’est-ce pas ? Du moins Berthe vit-elle distinctement quatre hommes au moment où, d’un bas-côté du temple, les gendres se levèrent pour aller vers le rectangle blanc découpé tout au fond. La pluie mouillait leurs épaules, même celles du quatrième qui pourtant venait de plus loin que les autres, d’un pays que ne bouleversent jamais les intempéries, et tandis que retentissait la voix déchirante des orgues, ensemble les quatre gendres franchirent le porche. Là-haut, parmi les étoiles peintes, se déployaient les paroles du Christ : Je vous laisse ma paix, je vous donne ma paix, et Berthe, les doigts croisés sur son recueil de cantiques, à son tour quitta cette nef où règne la paix épouvantable de Dieu.

 

Pres de la voiture destinée aux femmes, des formes imprécises entouraient le char funèbre, d’autres plus vagues encore hissaient le cercueil dont on n’aurait pas cru, au moment de prendre les mesures, qu’il paraîtrait si long. Des ballots d’ouate grise se dévidaient entre la fontaine qu’orne le buste des deux fondateurs de la tréfilerie, les gouttières d’où jaillissait un panache mousseux et humide, les marronniers. Des remous plus opaques enveloppèrent les maisons ; les silhouettes des hommes, déjà lointaines, se fondirent dans cette matinée plus sombre qu’un crépuscule, puis s’effacèrent.

 

Assises sur les banquettes de la voiture, les autres femmes avaient-elles vu, comme Berthe, les quatre gendres ? Peut-être… C’était des parentes venues de tout le vallon pour accompagner a sa dernière demeure le fermier Houriat, Ancien d’Église, estimé des paroissiens, et quelques-unes se rappelaient encore le temps de ses inspections, les jours du Jeune fédéral, ce flair qu’il possédait alors pour reconnaître les foyers où l’on allumait le feu dans les cuisines, et sa colère.

Auteur.e

Clarisse Francillon (1889-1976), auteure mystérieuse des Lettres romandes, a abordé des thèmatiques très en avance sur son temps, dans des romans et des nouvelles publiés pour la plupart par de grands éditeurs parisiens.

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