
Ma vie
Préface : Walzer Pierre-Olivier
Traduction : Fick Édouard
Considérée comme l’une des autobiographies les plus accomplies d’un humaniste de la Renaissance, Ma vie de Thomas Platter nous plonge dans l’époque bouillonnante d’Érasme et de Holbein, au fil d’une existence aventureuse régie par l’amour de la connaissance.
À la fin du XVIe siècle, un vieil homme retrace dans un mince cahier les grandes étapes de sa vie. Quatre cents ans plus tard, ce cahier est devenu un texte emblématique de l’humanisme et de la Renaissance, et le destin de Thomas Platter (1499-1582) fascine toujours autant.
Sa trajectoire a été lue tour à tour comme un modèle de résilience et de détermination, un exemple de vie pieuse ou une success story à l’américaine. Le récit est dans tous les cas un témoignage unique sur une société en pleine mutation, qui a jeté les bases sur lesquelles le monde occidental contemporain s’appuie encore.
Reprenant la traduction française historique d’Édouard Fick (1862), Ma vie est éditée ici avec la préface d’Olivier Walzer qui accompagnait sa première publication dans la collection «Poche Suisse» aux éditions L’Âge d’Homme, en 1982.
Auteur : Thomas Platter
Titre original : Lebensbeschreibung
Catégorie : littérature germanophone
Date de publication : 21 mars 2025
Longueur : 112 pages
ISBN 9782940775286
Également en format numérique
PDF : ISBN 9782940775293
Epub : ISBN 9782940775309
Souvent, mon cher fils, tu m’as témoigné, ainsi que d’illustres et doctes hommes qui, dans leur jeunesse, ont été mes discipuli, le désir de me voir écrire un jour le narré de ma vie à partir de mon enfance. Maintes fois, en effet, vous m’avez entendu parler de l’étrange misère que j’ai endurée dès mes premières années ; des nombreux dangers que j’ai courus, soit dans les sauvages solitudes des montagnes, lorsque j’étais en service, soit dans les voyages que j’entreprenais pour me rendre à telle ou telle école ; de mes labeurs enfin, de mes soucis quand, une fois marié, j’eus à pourvoir à mon entretien et à celui de ma femme et de mes enfants.
Il ne sera point inutile à ton salut que tu puisses considérer les voies merveilleuses par lesquelles Dieu m’a si souvent préservé, afin qu’à Celui qui règne dans le ciel et qui t’a épargné d’aussi rudes épreuves, tu rendes grâces de tous les dons qu’il t’a octroyés. C’est pourquoi je dois accéder à ton désir, et vais t’instruire des faits encore présents à ma mémoire, te dire de qui je suis né, comment je fus élevé.
Et d’abord, il n’y a rien que je puisse moins garantir que l’époque exacte de chaque circonstance de ma vie. Lorsque j’eus l’idée de m’enquérir de la date de ma naissance, on me répondit que j’étais venu au monde en l’an 1499, le dimanche de la Quinquagésime, juste au moment où l’on sonnait la messe. Cette coïncidence fit espérer que je serais prêtre un jour. Ma sœur Christine m’a raconté qu’elle se trouvait seule auprès de notre mère quand celle-ci accoucha de moi. Mon père était Antoine Platter, de l’antique famille des Platter, qui tirent leur nom d’une maison bâtie, dans le haut de la montagne, sur un rocher formant une large plate-forme, près du village de Grächen, dizain et diocèse de Viège. Viège est un gros village et un dizain important du Valais. Ma mère, qui se nommait Amilli, était de la grande famille des Summermatter. Son père a vécu jusqu’à cent vingt-six ans ; six ans avant qu’il ne mourût, je lui ai parlé moi-même et il me dit qu’il connaissait, dans le diocèse de Viège, dix hommes plus âgés que lui : déjà centenaire, il épousa une fille d’une trentaine d’années et en eut un garçon. À sa mort, il laissa des fils et des filles dont les cheveux étaient gris, voire blancs. On l’appelait le père Hans Summermatter.
Je suis né à Grächen, dans la maison dite « an den Graben » ; tu y es allé toi-même, cher Félix. M’ayant mis au monde, ma mère eut mal aux seins et ne put m’allaiter ; je n’ai même jamais bu de lait de femme, à ce que m’a dit ma défunte mère. Mes malheurs commençaient.