
Pages valaisannes
Préface : Jaton Anne-Marie
Illustration : Monnier Paul
« C’est fou ce que ça sent l’Inde ! » Charles-Albert Cingria nous emmène dans les Alpes valaisannes et c’est un vrai bonheur de suivre, au gré des sentiers, ses coups de foudre, ses déceptions et sa perception si originale de ce qui l’entoure.
La fantaisie et les digressions de Charles-Albert Cingria nous emmènent, dans les trois récits rassemblés dans ce recueil, sur les sentiers de montagne du Valais. Pendeloques alpestres, Le parcours du Haut-Rhône et Ce pays qui est une vallée sont autant d’occasion pour l’auteur d’exprimer son amour de la nature, de la marche – et du vélo –, et de laisser libre cours à son insatiable curiosité. Il entraîne avec lui le peintre Paul Monnier, dont les croquis pris sur le vif illustrent Le parcours du Haut-Rhône.
Publiés pour la première fois entre 1929 et 1944, les trois textes réunis dans la présente édition sont accompagnés d’une préface originale d’Anne Marie Jaton, professeure émérite à l’université de Pise.
Auteur : Charles-Albert Cingria
Catégorie : littérature romande
Date de publication : 22 mars 2024
Longueur : 156 pages
ISBN: 9782940749720
Également en format numérique
PDF : ISBN 9782940749713
Epub: ISBN 9782940749737
La Bibliothèque du randonneur – septembre 2024
(…) Plongeons donc avec gourmandise dans les écrits – mais attention, ça peut devenir très vite addictif – de celui qui affirmait que « la bicyclette fait de vous un heureux; quelqu’un de libre en tout cas, de nouvellement libre et c’est insondable et exquis ce sentiment », sentiment vraisemblablement partagé par bon nombre de lecteurs de cette revue…
Nous devions être sensiblement haut. Le torrent — ce qui ne se produit qu’en montagne — sonnait avec une gravité registrable donnant l’impression d’une énorme voix pantelante : vraiment celle d’un être : pleine d’interminables fatidiques choses amères et tendres à raconter ; forçant quelquefois, comme pour accentuer, pour convaincre, ou s’anémiant et brusquement perdant sa vie, selon peut-être que la forme noire de l’encaissement des rochers favorisait ou contrariait une résonance.
Je dis que cela ne se produit qu’en montagne ; et j’ajouterai qu’il n’y a que la montagne qui apporte des enseignements dont les humains ne sauraient se passer. On a beau dire qu’on est de la plaine et que, à cause de cela, on aime la plaine, faisant de cette position un dogme, ajoutant, au surplus, qu’elle est celle d’un tempérament classique ; on ne vaut rien : on est juste bon à faire de l’esprit ou des pirouettes et des grâces, ce qui est trop facile : on ne comprend rien à l’épître de saint Jude, rien à l’Enfer de Dante, rien au Festin de pierre : rien aux verticalités sévères de la grande histoire et de la vie.
Et puis aussi il est faux que le tempérament classique soit de plaine. Le grand drame espagnol veut la montagne — le satin dans la montagne —, Pétrarque veut la montagne. Et que dire de la Grèce qui est tout dans ce qui nous motive et qui n’est pas un pays de plaine. Il ne peut aussi y avoir de raison — non de raison discursive : de raison agie, de syllogisme gravi — qu’à la montagne. La plaine incurve les arcades sourcilières, arrondit théoriquement ou aplatit les chairs, unifie et départicularise l’esprit, rend aimable, disert, facile, inventif, mais, dans le même temps que tout cela, rend idiot ; car il faut une philosophie de chacun qui ne soit pas codifiée et, de temps en temps, des soubresauts qui interrompent l’horizontalité d’une vie en masse autorisant à ne douter de rien. Il faut au contraire douter, s’arrêter, insondablement et brusquement se souvenir. Il y a le ciel et cette énorme voix d’en bas qu’il faut avoir entendue et qu’il faut réentendre, en se disant : c’est vrai, il y a cette voix, ce son ultra-grave et frais, sévèrement maternel, impossible à entendre ailleurs, et qui apprend des choses impossibles avec tant d’horrible précision tendre ailleurs ; qu’on a peut-être entendue quand elle était un être, et qui est peut-être ici, rien qu’ici, encore un être ; car le son contient, enseigne, fait se déployer et vociférer la science ; et celui qui, de sons, n’en a entendu que de politiques, mais jamais ce gros son tendre ultra-grave très net, barri probablement aussi autrefois par des bêtes, et dont la place qui est nombre existe dans notre capacité de frissonner salubrement c’est-à-dire de comprendre, celui-là, dirais-je, est bien atrophié, bien privé, surtout s’il y met son orgueil et que, dans cela qui est un défaut, il se complaît à contempler le solide de sa « foi raciale ».
On a trop dit de ces folies. La race de l’homme n’est pas de la plaine. Il n’y a point de race. C’est à savoir qu’il n’y en a qu’une : bouger, errer, ne se fixer jamais. Le lieu enseigne : alors quitter l’autre lieu, maudire sa ville. Étant de la plaine, allez sur la mer ; étant de la vallée, allez dans la plaine, enrichissez-vous et revenez dans la montagne. La mer est plaine ou montagne à la fois selon le vent ; et l’homme ne doit pas ignorer l’Esprit qui souffle où il veut.
J’allais ainsi, dissertant avec moi-même puisque mon guide, non plus qu’il ne se retournait, ne pouvait ou ne voulait articuler une parole.
(in « Pendeloques alpestres »)