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Si le soleil ne revenait pas

C.F. Ramuz

Préface : Staubitz Melina

Si le soleil ne revenait pas, publié pour la première fois en 1937 pendant la guerre d’Espagne et juste avant les événements tragiques de 1939-1945, est une magnifique ode à la vie. Un roman de lumière qui défend la foi et l’espérance au milieu des menaces du temps et du monde. Il a été adapté sur grand écran par Claude Goretta en 1987.

Si le soleil ne revenait pas : que se passerait-il ? Le vieil Anzévui, prophète de malheur, a sorti de son grimoire la plus funeste des prédictions. À Saint-Martin d’En Haut, où déjà le soleil, l’hiver, n’apparaît guère, on ne le verra plus cette année. Optimistes, pessimistes, rebelles, résignés, tous les villageois se sentent concernés. Car si le soleil ne revient pas, la vie s’arrête. Ce serait comme un hiver qui n’aurait pas son printemps, comme si ce versant de montagne, en plein Valais, ne ressortait plus jamais de sa neige et de sa nuit.

 

Quelques jeunes personnes vont agir pour que le soleil revienne : Isabelle ira au-devant de lui et fera entendre son rire ; Jean soufflera dans son cornet de berger ; Métrailler tirera treize coups de fusil. Les vieilles femmes du village l’admettront : Il semble bien qu’il se soit trompé. La lumière aura une nouvelle fois triomphé des ténèbres, et le printemps aura terrassé le bonhomme hiver qui ressemble de plus en plus au vieil Anzévui trouvé mort dans son fauteuil…

 

Cette édition est accompagnée d’une préface inédite de Melina Staubitz.

Auteur : C.F. Ramuz
Catégorie : littérature romande
Date de publication : 22 mars 2023
Longueur : 180 pages

ISBN 9782940733767

Également en format numérique

PDF : ISBN 9782940733774

Epub: ISBN 9782940733781

Vers les quatre heures et demie, ce jour-là, Denis Revaz sortit de chez lui. Il boitait assez bas.

 

C’était son genou qui n’« allait pas », comme il disait ; et on lui disait : « Comment va votre genou ? » il répondait : « Il ne va pas fort. »

 

Ainsi il a longé non sans difficulté la petite rue qui traverse le village, et on l’a vu ensuite s’engager sur sa gauche dans un sentier qui menait à une vieille maison.

 

À peine si on l’apercevait encore dans l’ombre, cette maison ; on distinguait pourtant que c’était une maison de pierres avec un toit couvert en grosses dalles d’ardoise, et il se confondait par sa couleur avec la nuit, mais est-ce bien la nuit ? ou est-ce le brouillard ? ou encore autre chose ? parce qu’il y avait déjà plus de quinze jours que le soleil était disparu derrière les montagnes pour ne reparaître que six mois plus tard.

 

Et puis c’était ce genou qui n’allait pas.

 

Revaz s’était arrêté pour laisser se calmer un instant la douleur ; alors, dans l’obscurité grandissante, par l’ouverture des fenêtres qu’il y avait sur le devant de la maison, une lueur roussâtre s’était mise à bouger comme une aile de chauve-souris.

 

Ces fenêtres n’avaient ni contrevents, ni rideaux, tandis que la façade elle-même, traversée par une large lézarde, faisait penser à une page de cahier qu’on aurait biffée à la plume ; et c’est dans le bas de cette façade qu’on voyait cette lueur monter, descendre, paraître, disparaître, comme un lambeau d’étoffe déteinte qu’on aurait agité derrière les carreaux.

 

Ce qui fait que Revaz a été tout de suite assuré qu’Anzévui était chez lui (d’ailleurs comment n’y aurait-il pas été ?) et Revaz s’était remis en route malgré son genou malade, mais heureusement que le trajet n’était pas long.

 

Il est arrivé devant le perron. C’étaient trois marches sur le côté de la maison, et par un bout elles étaient enterrées dans la pente. C’étaient trois marches qui bougeaient sous le pied parce qu’elles étaient descellées ; elles menaient à une vieille porte cintrée dans le haut. Et il n’y avait plus de poignée à la porte ; c’était une grosse ficelle qui faisait manœuvrer à l’intérieur le loquet, car tout était ancien ici et ruiné, devant quoi Revaz s’était arrêté, ayant fait du bruit avec ses gros souliers à clous sur les marches de schiste ; pourtant on n’avait pas bougé dans la maison.

 

Il a cogné du poing contre la porte.

« Antoine Anzévui, êtes-vous là ? »

 

On ne répondait pas :

« C’est moi Revaz, Denis Revaz ; est-ce qu’on ne pourrait pas entrer ? »

 

Cependant il ne tirait toujours pas sur la cordelette et ainsi a dû attendre encore qu’on se levât à l’intérieur, comme il a entendu enfin qu’on faisait au bruit d’un meuble qui a été déplacé ; puis, la porte ayant été lentement tirée, quelque chose de blanc s’est montré dans l’entrebâillement :

« Ah ! c’est toi. Qu’est-ce que tu veux ?

— Je voudrais vous parler. »

 

Alors la porte s’était ouverte toute grande, de sorte que Revaz n’avait eu qu’à entrer.

 

Au premier moment, on ne voyait rien ; puis on voyait qu’il y avait un feu qui brûlait sur le foyer.

 

Ensuite on voyait qu’il y avait un grand manteau qui s’avançait hors du mur vers le milieu de la pièce et, sous l’avancement, une vieille table de noyer était couverte de toute espèce d’objets disposés dessus pêle-mêle, tandis qu’un fauteuil à siège de paille défoncé était tiré entre elle et le feu.

 

La porte s’était refermée ; Anzévui s’avança devant Revaz en traînant les pieds. Il prit un escabeau qu’il plaça en face du fauteuil devant le feu : « Assieds-toi là », avait-il dit ; ensuite il avait regagné sa place ; mais alors on avait vu qu’elle était occupée par un gros livre à reliure de parchemin veiné de rouge, usée aux nervures, rongée dans les coins, qu’Anzévui souleva avec lenteur et respect, puis posa sur la table, les feuillets en dessous.

 

Il avait une grande barbe blanche ; il avait de longs cheveux blancs qui lui tombaient sur les épaules.

« Eh bien ? dit-il.

— Antoine Anzévui, dit Revaz, je suis bien fâché de vous déranger. Vous étiez en train d’étudier. Vous êtes un savant ; vous lisez dans les livres. Qu’est-ce que c’est ? c’est-il la Bible ? »

 

Anzévui ne bougeait pas.

 

Il tenait l’une dans l’autre sur ses genoux ses mains noires ; et, comme il faut du temps pour s’habituer à l’obscurité, c’est seulement à présent que la vue pouvait percer jusqu’aux murs et permettait de distinguer que la pièce où on se trouvait était une très grande pièce. La lueur du feu faisait un demi-cercle sur les dalles disloquées ; elle s’élargissait parfois, gagnant jusqu’aux fenêtres qui étaient percées dans le mur opposé ; et on s’apercevait aussi que cette pièce avait été une très belle pièce, comme il arrive dans nos montagnes où on trouve souvent parmi les petites maisons de bois une de ces grandes maisons de pierres qui ont été bâties par un homme du village de retour au pays après s’être enrichi au service étranger. Seulement, avec le temps, et parce que l’argent a manqué, elles ont été négligées ; c’est ainsi qu’il y avait des trous dans le plafond, que la plupart des carreaux avaient été remplacés par des feuilles de papier d’emballage et que, la fumée du foyer s’étant déposée sur les murs passés à la chaux, il n’y avait dans la chambre qu’une seule tache encore blanche qui était les cheveux et la barbe d’Anzévui.

 

Auteur.e

C. F. Ramuz (1878-1947) est considéré comme un des plus importants écrivains suisses du xxe siècle, auteur notamment de l’Histoire du soldat, drame mis en musique par Igor Stravinski. En savoir plus ici.

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