
Un souvenir de Solférino / L'avenir sanglant
Préface : Chaponnière Corinne, Rougemont Denis (de)
Humaniste, pacifiste, Henry Dunant flétrit la guerre, dénonce la violence, fustige l’hypocrisie de ceux qui tiennent un double langage et dont les actes démentent le discours.
Un livre pour remonter à la source de la Croix-Rouge, l’une des institutions dont l’humanité peut s’enorgueillir et dont le message, émouvant par sa simplicité pionnière, n’en finit pas, hélas, d’être actuel.
1859 : Henry Dunant voyage en Lombardie dans l’espoir de rencontrer Napoléon III, occupé à chasser les Autrichiens hors de la région. À la place de l’Empereur, c’est l’horreur qu’il découvre aux abords d’un champ de bataille. Il ne s’en remettra pas. En 1862, Un souvenir de Solférino révélera crûment au monde la réalité de la guerre. Ce livre conduira à la création de la Croix-Rouge et à la première Convention de Genève.
Trente ans plus tard, Dunant revient sur la guerre, mais par un autre côté. Ce ne sont plus seulement ses conséquences qui le révoltent – morts, blessés, prisonniers – mais, en amont, ses champions, ses responsables, ses bénéficiaires. La foi humanitaire fait place au credo pacifiste: c’est le manuscrit saisissant de L’avenir sanglant.
Présentés en ordre chronologique, ces textes permettent de suivre la formidable évolution de la pensée d’Henry Dunant. Ils sont introduits et commentés par Corinne Chaponnière, auteure de la biographie Henry Dunant. La croix d’un homme (Labor et Fides, 2018). Une préface de Denis de Rougemont, rédigée en 1969, a été conservée en postface.
Auteur : Henry Dunant
Catégorie : littérature romande
Date de publication : 20 janvier 2023
Longueur : 192 pages
ISBN 9782940733613
Également en format numérique :
PDF : ISBN 9782940733620
Epub : ISBN 9782940733637
Si le commencement du siècle fut un temps de troubles et de grandes guerres, il est triste de penser que la fin de ce même siècle paraît devoir être encore plus troublée et qu’elle semble destinée à devenir la proie d’un sanglant délire, car elle est l’époque d’un immense désarroi dans les esprits, et le monde décrépit n’a plus foi en lui-même au milieu de la confusion dans laquelle se débat une partie de l’humanité.
On a tant parlé de gloire que maintenant on en parle un peu moins ; mais on se prépare davantage, avec l’espoir de tirer le meilleur parti possible des futures hécatombes froidement, scientifiquement méditées. Une atmosphère de défiance ou de haine se répand de plus en plus sur les peuples constituant une Chrétienté qui est loin d’avoir l’esprit de Christ. À l’époque actuelle, des Pyrénées aux monts Oural, le continent européen brille des baïonnettes de plus de vingt-deux millions de soldats ; et, quand l’heure de la mêlée sonnera, quand viendra le moment de ces engouements prétendus chevaleresques, où, semblables à des animaux féroces aveuglés de rage et saisis de folie furieuse, les grandes nations se rueront les unes sur les autres, de quels spectacles tragiques serons-nous alors gratifiés ? Les grands fauves commenceront ; les petits pâtiront. On détruira pour n’être pas détruit et une fois les bêtes déchaînées, il ne pourra plus en être autrement. Les combattants, dans le duel renouvelé à diverses reprises depuis plusieurs siècles, sont prêts pour de nouveaux combats, pour une lutte à outrance, résolus d’y engager le reste de l’Europe avec eux — peut-être le monde entier —, et cela précisément à une époque où les royautés, les églises, toutes les institutions honorées des hommes pour leur antiquité menacent ruine, et derrière lesquelles beaucoup ne voient qu’abîmes ténébreux. Dans ce conflit, bon gré mal gré, seront certainement entraînés la plupart des peuples civilisés, oubliant leur brillante, mais trompeuse civilisation pour retourner à la barbarie — la barbarie scientifique ! Et, au milieu de cette gigantesque mêlée de races, toutes, en supporteront plus ou moins les épouvantables conséquences.
En outre, la crise morale de notre temps, plus grave chez les peuples de race latine où elle prend un caractère alarmant, s’accentue chaque année davantage et semble menacer la société d’un véritable cataclysme. La marée monte lentement ; elle finira sans doute par engloutir les digues qu’on essaie de lui opposer ; elle submergera, peut-être, elle balayera ce qui était réputé aussi solide qu’inattaquable à ses flots.
Comme pour hâter cette crise fatale, augmenter l’anarchie des esprits et précipiter le monde vers une dissolution sociale, nous voyons les forces les plus puissantes de la nature converties par les hommes en instruments de destruction ; nous voyons les nations les plus intelligentes rechercher avec avidité, dans l’appréhension d’une conflagration générale, à être les plus grandes, les plus puissantes par la force brutale, par le fer et par le feu. Les peuples policés sont armés jusqu’aux dents : ils ne songent ni à s’arrêter ni même à se modérer sur cette pente.
De toutes les inventions, il n’en est pas que le genre humain se soit plus appliqué à perfectionner que celle dont le but est le meurtre en grand de nos semblables. On a su le légitimer par de si glorieuses considérations qu’il est accepté comme « une loi de notre nature » ! L’usage, la tradition, la nécessité ont consacré la guerre : on l’entoure d’admiration et d’éloges, et l’on est arrivé à glorifier comme une chose sans conteste la guerre d’expansion, la guerre de conquête, la guerre pour la guerre !
La civilisation de notre époque, que l’on pouvait croire destinée à convier les hommes à la fraternité, s’affirme au contraire chaque jour davantage en leur fournissant les moyens de s’anéantir les uns les autres plus aisément, plus sûrement, plus commodément. Il semble, en vérité, que, désormais, le progrès moderne consiste surtout dans la recherche et la découverte des meilleurs engins de destruction.